Si près et pourtant si loin. À peu près dix ans (parfois même moins) se sont écoulés depuis l'apogée de ces vidéos d'une gênance incommensurable. Dans les années 2010, alors que nous ponctuions sans vergogne nos phrases de «... ou pas» et que nous possédions un mug où il était écrit «Keep Calm and Drink Beer» (ou n'importe quelle autre phrase trop délire), nous nous sommes volontairement humiliés sur internet.
Si certains défis avaient été lancés pour la bonne cause, la plupart de ces challenges ne servaient qu'à nous mettre en scène et nourrir nos égos d'affreux petits pervers narcissiques bourrés de regrets aujourd'hui.
C'est en 2013 que naquit la première vidéo. Elle sera suivie d'une quantité industrielle de clips du même acabit. Pour réussir un Harlem Shake, il suffisait de vaquer à ses occupations, feignant d'ignorer qu'un iPhone 4 nous filme. Puis, lorsque la musique change de tempo, BAM! On est déguisé en requin ou en tracteur et on danse avec un ficus au milieu de l'open space. Des. Barres. De. Rire.
Du cabinet médical de la doctoresse Chantal Rochat à la multinationale basée dans un paradis fiscal qui brasse des pétrodollars, en passant par les sportifs plus ou moins d'élite, tout le monde y est allé de sa petite contribution. Pour la postérité.
Ou plus précisément, le SLA Ice Bucket Challenge, qui a fait les beaux jours d'internet à l'été 2014. Tout est dans le SLA, dont 98% des participants se foutaient royalement. Il s'agissait pourtant, à la base, d'un défi pour récolter des fonds pour lutter contre la SLA, la sclérose latérale amyotrophique, plus connue sous le nom de maladie de Charcot.
Un challenge où on se balançait un seau d'eau glacée sur la tête, puis on invitait d'autres amis à reproduire ce geste. Combien de personnes sont mortes d'un choc thermique? Selon Wikipédia, ma source d'informations préférée, «on doit déplorer le décès d'un ancien footballeur, Steffen Klemm, victime de complications consécutives au choc thermique après avoir reçu quatre seaux glacés sur la tête». By the way, dans mon entourage, personne n'a filé un kopeck. Mais certains étaient contents de participer à ce concours de t-shirts mouillés. Trop. LOL.
2013, un grand cru pour les initiatives festives, rigolotes et gnagnagna sur internet! Cette année-là, l'humain a manifestement eu besoin de mettre l'humain au centre de tout. Ce qui fait que, lorsqu'est sorti l'entêtant tube Happy de Pharrell Williams, une bonne partie de la planète a trouvé judicieux, par groupes de 20 ou de 20 000, de se rassembler pour chanter et danser tous ensemble.
Encore aujourd'hui, wearehappyfrom.fr recense des vidéos dégoulinantes de joie d'anonymes massacrant Happy «pour un total de 141 heures et 46 de bonheur à travers 153 pays!», comme l'assure le site. L'administration communale de Bercher-les-Fourches, tout comme la classe 4P de Bircher-la-Cuillière, tous y sont passés. Rien qu'à Lausanne, on en a pondu cinq. Bravo, fierté nationale. «... Ou pas, LOL!», comme on disait à l'époque.
Plus récent, mais pas plus glorieux. C'est en 2016 que des lycéens en Floride tournent une vidéo où personne ne bouge, façon mannequins dans une vitrine. Comme un malheur n'arrive jamais seul, d'autres vidéos du style pullulent rapidement sur Facebook (oui, à l'époque, ce réseau social n'était pas encore exclusivement réservé aux personnes nées avant l'internet mondial).
Même l'équipe de campagne d'Hillary Clinton, lors de l'élection présidentielle américaine, y est allée de sa petite contribution. L'UNICEF s'y met également, avec une scène de village durant un acte d'excision. L'objectif est de sensibiliser le public à la question de l'excision. Une vidéo qui a un peu pété l'ambiance festive initiale, mettant un terme à ce buzz mondial et infernal.
De l'anglais «faire la planche», le planking consistait, comme son nom l'indique, à faire semblant d'être une planche. Le but était de trouver l'endroit le plus drôle (parce que comme chacun sait, être une planche, c'est trop rigolo) pour se faire prendre en photo. Les premières traces remontent aux années 1990, mais c'est bien en 2010 que la tendance a essaimé sur internet.
Mais comme toutes les «bonnes choses» ont une fin, la planète est passée à autre chose (même si, certes, on y a pas gagné au change dans les années qui ont suivi). Là encore, on recense des morts: en Australie, un jeune de 20 ans décède en tombant d'un balcon après avoir imité une planche sur le rebord.
Pourquoi se culturer l'esprit avec de grands classiques du cinéma ou de la littérature, ou s'aérer la tête grâce à une balade en forêt, quand on peut perdre de précieuses minutes (ou heures pour les nuls) de vie à apprendre une choré pour les mains avec un gobelet?
Le cup song challenge vient des États-Unis, berceau de beaucoup de choses super comme le beurre de cacahuète ou Brad Pitt. Mais les States ont aussi créé des monstres, comme ce défi débile en 2013. Il s'agit d'une reprise de la chanson du même nom de l'actrice Anna Kendrick, qu'on appréciait beaucoup plus en fangirl d'Edward dans Twilight que lorsqu'il s'agit de faire des sons qui donnent lieu à ce genre de trucs.
Retour en 2012. Psy, un chanteur coréen, sort son tube Gangnam Style. Le clip devient la première vidéo à atteindre le milliard de vues sur YouTube. La chorégraphie, qui se veut volontairement ridicule, imite un cavalier, ce qui donne lieu à la «danse du cheval». Très vite, des milliers d'internautes s'emparent du phénomène et postent à leur tour des vidéos où ils reprennent la fameuse danse.
Ce qui fait que pendant de trèèèès longues semaines, internet a foisonné de vidéos d'inconnus plus ou moins talentueux dansant comme s'ils se faisaient mordre une fesse par un animal pas gentil. Ou comme s'ils faisaient du cheval, mais encore une fois, rappelons que la fée du talent n'est pas passée au-dessus de chaque berceau, donc parfois, il était difficile de reconnaître la «danse du cheval».
Allez, vivement 2033, qu'on puisse oublier toutes ces horreurs qu'on a commises et juger allègrement les kiddos qui font les beaux aujourd'hui sur TikTok. #boomer