Les enjeux autour des personnes transgenres font des remous depuis quelques semaines en Europe. Tout a commencé outre-Manche, au Royaume-Uni, où la publication d'un rapport critique sur les soins et l'accompagnement apportés aux mineurs transgenres a mené à l'interdiction de l'administration de bloqueurs de puberté pour ceux-ci.
Le document a été attaqué par des associations et des députés du Parlement, qui lui reprochaient d'avoir volontairement laissé de côté certaines études. Des déclarations contredites directement par son autrice principale, l'ancienne présidente du Collège royal de pédiatrie britannique Hilary Cass. Celle-ci a d'ailleurs subi de plein fouet les foudres de certains activistes. «On m'a déconseillé de prendre les transports publics, par sécurité», a-t-elle ainsi déclaré au Times.
Dans la foulée, les six cliniques pour transgenres adultes qui refusaient de transmettre leurs informations au NHS, le puissant service de santé public britannique (National health service), pour la constitution du «rapport Cass» ont finalement consenti à le faire. En cause: les dossiers de 9000 patients traités à la clinique Tavistock — dédiée aux transitions de genre et qui a défrayé la chronique au Royaume-Uni ces dernières années — et des dossiers liés aux bloqueurs de puberté ou aux «détransitionneurs», ces transgenres qui ont décidé de revenir en arrière sur leur parcours de transition.
Hilary Cass estime que ces cliniques ont sciemment entravé le travail d'écriture de son rapport. Selon elle, ce refus était «coordonné» entre les cliniques et «motivé idéologiquement». Une accusation également brandie par la ministre des Femmes et de l'Egalité, Kemi Badenoch, qui a dénoncé la «lâcheté» du NHS dans l'affaire et accusé les services d'accompagnement des mineurs trans d'être «pire que les militants». Et elle n'y va pas avec le dos de la cuillère:
Le NHS a annoncé qu'un autre rapport concernant les transitions de genre des adultes allait voir le jour.
Une autre décision d'ampleur est tombée comme un couperet au Royaume-Uni le 30 avril dernier: le NHS ne reconnaît désormais que les sexes masculin et féminin dans sa doctrine médicale. Le sexe est désormais «une réalité biologique déterminante dans les soins apportés aux patients». Si cela ne remet pas en cause l'affirmation de l'identité de genre, les personnes prises en charge au sein des services du NHS le seront sur une base purement sexuée, qu'ils s'affirment comme transgenres ou non-binaires important peu médicalement parlant.
Cela implique par exemple que les patients qui veulent se retrouver dans des chambres séparées en fonction du sexe — et non du genre — ou que ceux qui veulent être auscultés par un médecin du même sexe voient leur souhait respecté.
La décision arrive dans le contexte de la mise à jour de la «constitution» de la NHS, un document de référence actualisé tous les dix ans. Le texte est ouvert à la consultation jusqu'au 25 juin. La ministre de la Santé de Rishi Sunak, Victoria Atkins, a défendu le document dans les médias, indiquant aussi vouloir «un langage clair et compréhensible pour tous» et basé sur le sexe biologique, désirant mettre fin aux termes tels que «personne menstruée» ou «personne à ovaires» dans le domaine médical.
Mais cette nouvelle directive pourrait avoir un impact au-delà du secteur médical britannique. Kemi Badenoch a ainsi déclaré la fin des «toilettes non-genrées, qui privent tant les hommes que les femmes de leur dignité», relate le Daily Mail. A l'avenir, soit les cabinets devront être cloisonnés, soit les toilettes communes ne verront plus les personnes «cis» et «trans» s'y mélanger sur la base de leur genre ressenti.
La publication du «rapport Cass» a fait une autre victime collatérale inattendue au Royaume-Uni: le premier ministre écossais, l'indépendantiste Humza Yusaf. Sa coalition avec les écologistes, face aux conservateurs et aux travaillistes, a explosé en vol en partie à cause de ce sujet — les Verts écossais étant fermement opposés à l'interdiction des bloqueurs de puberté. Conséquence? Un vote de défiance duquel le premier ministre n'aurait pu être que perdant. Il a préféré démissionner.
Ironie des choses, sa précessedeure au poste, Nicola Sturgeon, avait également démissionné en février 2023 dans le sillage d'une polémique liée à la facilitation du changement de genre pour les mineurs, après neuf ans à la tête du pays.
Le sujet rattrape également la France. A l'Assemblée nationale, les Républicains désirent, eux aussi, interdire les bloqueurs de puberté pour les mineurs, ainsi que les traitements hormonaux ou la «chirurgie de réassignation sexuelle». Le 19 mars, le parti dénonçait un «scandale éthique» et proposait une loi pour «encadrer les pratiques médicales mises en œuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre».
Le projet «propose d'inverser totalement la tendance actuelle, en rendant les changements de sexe, non pas plus simples, mais impossibles avant la majorité», explique ainsi Le Point, qui précise d'ailleurs qu'il «n'existe pas de données nationales fiables sur les demandes de transition chez les mineurs» en France.
Le texte des Républicains doit être discuté à l'Assemblée à la fin du mois. L'opposition au projet s'organise en conséquence. La Défenseure des droits française a évoqué, lundi, «un risque d'atteinte majeur à la santé» des mineurs trans, notamment mentale, en cas «d'impossibilité d’accéder à ces soins». Elle dit craindre une «approche exclusivement psychiatrique» et dénonce dans la foulée une «formulation pathologisante» qui serait «pour le moins problématique».
Dans le même temps, Mediapart révélait il y a quelques l'existence d'un groupe de parents en ligne très critiques de certaines institutions liées à la défense des transgenres. Ce «collectif hostile aux transitions des enfants» aurait prévu d'infiltrer plusieurs d'entre elles pour collecter des informations ou encore interpeller des parents dans le doute.
Le projet de loi des Républicains n'est le seul à agiter la France ces dernières semaines. Le livre Transmania, sorti fin avril et qui critique ouvertement la doctrine «transaffirmative» dans la société française, fait beaucoup parler de lui. Il se présente comme une «enquête sur les dérives de l'idéologie transgenre».
Lundi soir, une conférence en petit comité à de Paris a fait des remous. Les deux autrices, Marguerite Stern et Dora Moutot, ont été accueillies dans la rue par les manifestants sous le slogan «Une balle, une terf, justice sociale» (terf pour trans-exclusionary radical feminist, féministe radicale excluant les transgenres), ce qu'elles ont dénoncé comme des appels au meurtre.
Sur les réseaux sociaux, les critiques des activistes envers l'ouvrage sont acerbes. Ceux-ci dénoncent un ouvrage «transphobe» et appellent à son interdiction. Ses autrices dénoncent quant à elles une censure de la part des libraires qui cachent les ouvrages au fond des rayons, photos à l'appui, y compris dans les grandes surfaces comme la Fnac.
La publicité pour le livre a même été interdite dans les rues de Paris: Emmanuel Grégoirel, premier adjoint à la Mairie, en a appelé publiquement au publicitaire JC Decaux qui les a retirés dans la foulée. Ce qui n'a pas empêché le livre de prendre la tête des ventes en ligne en France.