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Magie: «Ceux qui jettent des sorts en Suisse ne le diront pas»

Trial documents in the permanent exhibition of the Anna Goeldi Museum, in Ennenda, in the Canton of Glarus, Switzerlan, on October 16, 2018. The exhibition is dedicated to the fate of Anna Goeldi, a m ...
Documents de procès dans l'exposition permanente du Musée Anna Goeldi, à Glaris. Elle fut l'une des dernières femmes en Europe à être accusée de sorcellerie et exécutée.Image: KEYSTONE

Magie noire: «Ceux qui jettent des sorts en Suisse ne le diront jamais»

Une récente étude démontre qu'une personne sur huit dans le monde croit à la sorcellerie et à la magie noire. En Suisse, c'est environ 10% de la population. Un chiffre qui n'étonne pas Magali Jenny, anthropologue, et qui reflète une réalité parfois méconnue. Entretien.
02.01.2023, 07:5204.01.2023, 10:55
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Une étude publiée fin novembre 2022 par la revue scientifique américaine Plos One, présente les résultats d'une enquête – menée dans 95 pays – selon laquelle une personne sur huit croit encore à la sorcellerie et à la magie noire. Cela va de 9% en Suède à plus de 90% en Tunisie.

En Suisse, c'est environ 10% de la population qui se tourne vers ce type de croyances. Magali Jenny, anthropologue et spécialiste des guérisseurs, explique ce chiffre et dresse le portrait, exemples à l'appui, du paysage spirituel helvétique.

Magali Jenny
Magali Jenny, anthropologue et spécialiste des guérisseurs.Image: Carlo Sanna

Avant toute chose, la sorcellerie et la magie noire, c'est quoi?
Il est important de différencier les deux termes. La sorcellerie fait appel à des forces, des pouvoirs ou des éléments difficilement identifiables, pour faire du bien ou aider les gens. Toutefois, ceux qui se tournent vers ce genre de pratiques ne se considèrent plus aujourd'hui comme sorciers ou sorcières.

Ah bon? Pourquoi?
A l'époque déjà, ces personnes étaient associées au diable. Mais les sorciers ne font plus – et n'ont jamais réellement fait – appel à Satan. Et puis, on assiste, ces dernières années, à une redéfinition du terme. Aujourd'hui par exemple, la sorcière est un symbole dont les féministes se sont emparées, qui représente une femme forte, indépendante et en opposition au patriarcat. C'est d'ailleurs un compliment, lorsque c'est utilisé pour nommer quelqu'un qui fait de la magie blanche.

La magie blanche, en opposition à la magie noire, j'imagine?
Exactement. La magie noire, c'est quelque chose de négatif, qui a pour but de nuire. C'est également une pratique qui a plus de liens avec le religieux, le divin, le maléfique et le diable.

«On l'utilise notamment pour jeter des sorts»

Jeter des sorts, vraiment?
Oui, oui. C'est quelque chose qui se fait dans nos régions, même si ceux qui le font ne le diront jamais ouvertement. Et il existe justement des personnes qui luttent contre la magie noire. Ils désensorcellent ceux qui se disent victimes d'un mauvais sort, ou nettoient les maisons et les lieux qui ont une mauvaise énergie. Certains récitent des prières et utilisent de l'eau bénite, un peu comme des exorcistes, même si le terme n'est pas correct.

Du coup, qui sont ces personnes?
Ce sont justement ceux qui ne se considèrent plus comme des sorciers, mais comme des désenvoûteurs, des guérisseurs, des faiseurs de secrets ou des magnétiseurs. Ils n'ont pas appris ce qu'ils font; ils ont simplement un don. Ils soignent et guérissent d'une manière qui ne peut – pas encore – s'expliquer scientifiquement. Certains parlent «d'effet placebo», mais cette théorie ne donne pas réponse à tout.

Et les Suisses ont recours à ce genre de pratiques?
Oh oui! Même si pendant longtemps, en Romandie surtout, ils préféraient le cacher.

Pourquoi?
La Suisse romande était fortement inspirée par le modèle français, qui associait les guérisseurs à des charlatans. Il y a 30, 40 ans en arrière, les médecins leur fermaient la porte. Les Suisses allemands en revanche ont suivi le modèle de l'Allemagne, où les médecines alternatives étaient reconnues. Les guérisseurs se formaient donc à d'autres pratiques institutionnalisées, comme la naturopathie par exemple ou l'acupuncture, et utilisaient leur don dans ce cadre-là.

«Mais les mentalités ont évolué, et depuis une vingtaine d'années maintenant, faire appel à un guérisseur est quelque chose dont on parle assez librement, même à son médecin»

Les professionnels de la santé sont ouverts à la discussion?
Ils n'ont pas vraiment le choix. Premièrement, parce que des études faites dans d'autres pays, sur le distant healing (guérison à distance) par exemple, ont permis aux scientifiques de découvrir ces pratiques. D'ailleurs, certains d'entre eux n'excluent pas qu'un jour, de plus en plus de médecines alternatives puissent être expliquées. Secondement, parce que les patients communiquent ouvertement sur le fait d'y avoir recours. Et face à des personnes qui guérissent ou vont simplement mieux, les médecins doivent se rendre à l'évidence que ces pratiques fonctionnent. Moi-même d'ailleurs, j'interviens dans les universités pour présenter le métier de guérisseurs aux étudiants, pour qu'ils sachent que ça existe.

Ces dernières années, la spiritualité est très présente, sur les réseaux sociaux notamment. De nombreuses marques jouent par exemple beaucoup avec l'astrologie. Est-ce qu'on a affaire à un effet de mode, notamment depuis le Covid-19?
Sans me lancer dans un cours d'Histoire, on peut dire – dans les grandes lignes – que depuis le siècle des Lumières, on assiste à un désenchantement du monde occidental, là où d'autres pays ont maintenu cette part de mystère et de magique. Nos institutions sont fortes et présentes, le scientifique – parfois très scolaire – et l'éducation font partie intégrante de notre processus de modernisation, au détriment parfois de l'inexplicable et du spirituel. Cette vision a été longtemps acceptée, mais elle est de plus en plus remise en question.

«Et la pandémie a été un accélérateur»

C'est-à-dire?
Avant 2020 déjà – c'est d'ailleurs ce qui a contribué au succès des guérisseurs – il y avait un «retour en arrière» et une réhabilitation de certaines pratiques, qui semblaient pourtant vouées à disparaître. Les gens ne souhaitent plus être «juste un numéro» ou prendre n'importe quels traitements médicamenteux. Ils avaient besoin d'humanité, de pratiques plus naturelles, d'écoute, de considération en tant que personnes à part entière. Ils voulaient aussi être actifs dans leur processus de guérison, participer au fait d'aller mieux, d'où la mode ces dernières années du développement personnel.

«En Suisse, toutes les strates de la population sont concernées»

Ces croyances ont donc longtemps été gommées, notamment parce que se concentrer sur soi était un frein à la productivité des personnes. Mais apparemment, elles ont eu besoin de retrouver un peu de magie. Et si ça marche, tant mieux.

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