2024 est une année qui vire au cauchemar pour des géants de la tech. Le monde virtuel n'est plus un Far West et les Etats veulent agir. Dernier exemple en date: l'arrestation en France de Pavel Durov, patron de Telegram. D'autres pays ont décidé d'agir, notamment la Corée du Sud, le Brésil et l'Australie.
En 2018, le monde découvrait que les réseaux sociaux pouvaient créer de gros remous dans notre démocratie lors du scandale Cambridge Analytica. Pour la première fois, les réseaux avaient influencé des élections, celles de 2016 voyant Donald Trump triompher face à Hilary Clinton.
Depuis, les milliardaires de la Gafam ont pris la confiance et se sont longtemps pensés intouchables. Mais en 2024, ce sentiment est remis en question. Les Etats ont désormais décidé de sévir face à ces dirigeants qui slaloment entre les règles de l'ordre établi.
Première victime en date: Meta qui a allongé une amende de 1,3 milliard de dollars, infligée par l'Union européenne, avant de faire chauffer une nouvelle fois le tiroir-caisse aux Etats-Unis en versant 1,4 milliard de dollars à l'Etat du Texas. L’utilisation abusive d’un outil de reconnaissance faciale permettant à Facebook de repérer des visages d'utilisateurs et de leur suggérer de les identifier dans des publications a été épinglée par les autorités - cette fonction est restée active par défaut de 2011 à 2019.
Le Brésil aussi a décidé de protéger sa démocratie. En 2022, le pays d'Amérique latine avait bloqué et imposé un ultimatum au réseau pour se conformer à la loi. Les autorités ont aussi empoigné un autre problème: celui de X. Le juge de la Cour suprême, Alexandre de Moraes, a suspendu l’utilisation du réseau social. Des amendes salées (8 000 euros) sont à la clé si des habitants souhaitent contourner cette interdiction. De quoi énerver Elon Musk:
De son côté, l'Australie a fait savoir qu'elle était aux aguets et qu'elle exigeait des informations sensibles de la part de huit sociétés de médias sociaux concernant l'utilisation des plateformes par des enfants et des mineurs.
Malgré la nuée d'avertissements et les cartons rouges distribués, X semble à l'abri d'une suspension dans l'UE. Cela est «très peu probable» estime Alexandre de Streel, expert du groupe de réflexion Center on Regulation in Europe à l'AFP.
Cette guerre numérique entre les gouvernements et la Tech a pris du temps, car il est difficile d'établir une réglementation à travers le monde. L'UE est désormais en train de mettre les bouchées doubles pour réglementer les plateformes, mais l'opération est délicate sachant que ces entreprises ont leur siège basé aux Etats-Unis ou à Dubaï.
Sans compter que les patrons tels que Musk ou Durov ne souhaitent pas coopérer avec les différents gouvernements.
Mais la nouvelle législation sur les services numériques (DSA), pour construire un monde en ligne plus juste et plus sûr, risque de redistribuer les cartes dans l'univers virtuel dans la zone européenne.
Mais pourquoi les patrons de la Tech peinent-ils autant à se plier aux lois? La Silicon Valley est truffée de visionnaires désireux de transformer la société en faisant fi des principes de protection des données. L'idée d'un homme au-dessus des lois est une vision prégnante dans la tête des pionniers, comme le décrivait Gérald Bronner dans sa chronique pour L'Express.
Des penchants qui sont familiers au mouvement hippie, empruntés par la Silicon Valley, qui puise largement dans cette éthique anti-autoritaire et anti-élitaire des années soixante. Peter Thiel, par exemple, l'éminence grise de la Silicon Valley, expliquait que «le gouvernement est une institution fondamentalement mauvaise».
Derrière cette logique inquiétante se niche le cheval de bataille de la Silicon Valley: la disruption. Cette destruction créatrice est née dans l'esprit de l’économiste Joseph Schumpeter (1883-1950). Un mode de pensée qui entraîne ces grands patrons dans une réflexion attribuant un plus grand potentiel progressiste à l’entreprise qu’à l’Etat.
Malgré ça, personne n'est au-dessus des lois, pas même Mark Zuckerberg ou Elon Musk. Les Etats désirent désormais tracer des limites clair et remettre de l'ordre dans la jungle des réseaux sociaux. La chasse à la désinformation est lancée, le barrage à la liberté d'expression a tout prix aussi.