Le Royaume-Uni, la Corée du Sud, l'Espagne, la France, l'Islande, la Lituanie... D'Europe en Asie, Moon illumine depuis 2016 les plus belles scènes de drag queens. Désormais, celle qui, par ses looks, voue son quotidien à faire rêver le public peut être d'autant plus fière: dès le 30 juin, la Genevoise participera à la seconde saison de Drag race France, devenant par la même occasion la première Suissesse à concourir pour le très convoité titre de reine du domaine sur le sol hexagonal.
Mais derrière Moon, il y a Ava Matthey. Et avant l'extravagance du drag – cet art scénique s'amusant à détricoter les genres – il y a surtout une femme trans, pudique, dont le parcours prête à l'admiration. Des critiques liées à son identité et de sa passion se confrontant à la précarité du métier, en Suisse du moins, l'artiste de 31 ans en a fait une force, greffant à son art une dimension résolument politique. Elle le répète: son but est de changer les mentalités.
Que dites-vous aux gens affirmant que pour être une drag queen, il faut nécessairement être «un homme gay cisgenre»?
On peut aussi y voir évoluer des drag kings (les drags construisant une identité volontairement basée sur les archétypes masculins) et des drag queers (les drags qui ne s'identifient à aucun genre).
Mais ce n'est pas qu'une histoire de genre. Pour faire du bon drag, il y a aussi des compétences à avoir. Quelles sont-elles?
Ru Paul's drag race, la version américaine dont l'émission de France 2 s'inspire, cite le charisme, l'originalité, le culot et le talent. Mais, à mon sens, le plus important reste d’avoir un esprit créatif. Cela permet de créer un univers qui saura emporter le public dans quelque chose qu’il ne connaît pas toujours.
Disposer de toutes ces qualités permet-il alors de vivre de cet art?
Dans mon cas, non, car la demande en Suisse est encore trop faible. Je dirais même que le drag me coûte plus qu’il ne me fait gagner d'argent. Les perruques, les maquillages et mes tenues particulièrement extravagantes ont un coût important. Je parviens à rembourser une petite partie grâce aux cachets récoltés après des représentations et à mon autre emploi de peintresse.
Pourquoi vous être lancée dans le drag?
Cela faisait plusieurs années que je me cherchais. Puis, en 2016, je vais à Londres et décide d'aller dans une soirée entourée pour la première fois de drag queers. J’avais, pour l'occasion, moi-même adopté un look très recherché. Et malgré cette extravagance dont je n'avais pas encore l'habitude, je ne m'étais jamais sentie autant en sécurité. Cela m'a permis de redécouvrir mon corps.
Cette découverte est donc allée plus loin que l’aspect visuel du drag...
Oui. Ce n'était pas qu'une histoire de maquillage et de vêtement. C'est toute l’attitude féminine qui m’attirait profondément.
C’est cette même année que «Moon» est née. S'inspire-t-elle d'Ava?
Bien qu'elles dérivent toutes deux de la même personne, Moon et Ava sont diamétralement opposées. La première est très extravertie et excentrique tandis que la seconde est plutôt réservée et pudique. Moon me permet de m'évader et de réaliser des choses que je n'oserai peut-être pas en étant Ava.
Pourtant, que vous soyez l'excentrique Moon ou la discrète Ava, vous vous êtes déjà fait agresser en raison de vos looks…
Encore aujourd'hui, je me fais énormément critiquer.
Quelles différences de traitement avez-vous perçues entre les pays étrangers dans lesquels vous avez performé et la Suisse?
Les endroits ayant été les plus ouverts quant au drag se trouvaient au Royaume-Uni et en Islande. En ce qui concerne la Suisse, bien que le drag soit interne à la culture queer depuis de longues années, les représentations sur scène demeurent rares et encore trop souvent sur des petites scènes.
Alors, pourquoi être revenue vivre en Suisse s'il y a tant d'obstacles?
J'ai préféré vivre à l'étranger parce qu'il fallait que je me reconnecte à moi-même et me rappelle que le problème n’était pas qui j’étais. J'ai longtemps pensé que le problème était l’endroit dans lequel je vivais. Mais fuir n'est pas la solution. C’est pour cela que je suis revenue.
Est-ce la raison pour laquelle vous revendiquez que faire du drag en Suisse est un acte «politique»?
Oui, car faire du drag en Suisse c’est viser à changer les mentalités. D'autant plus que ça parle de genre, et donc d'identité. La thématique ne peut être que politique lorsque l’on voit ce que certaines personnes subissent au quotidien, encore actuellement, juste à cause du genre dans lequel elles se reconnaissent.
Quel message voudriez-vous transmettre au public à travers votre participation à Drag race 2?
J’aimerais que l'on comprenne que le drag est un art à part entière et l’un des miroirs de notre société. Cette activité n’a jamais fait de mal à personne. A part être des artistes incroyables qui méritent leur place sur cette terre, les drag sont là pour faire rêver les gens.