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Famille, argent, buzz: à quoi joue vraiment le FC Sion

Le president du FC Sion Christian Constantin, droite, et son fils le directeur sportif du FC Sion Barthelemy Constantin, gauche, effectuent une minute de silence en l'honneur de leur pere et gran ...
Barthélémy et Christian Constantin, un huis-clos familial à la tête du FC Sion.Image: KEYSTONE
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Famille, argent, buzz: à quoi joue vraiment le FC Sion

Le grand public ne comprend pas les incessants changements d'entraîneur et les millions de francs versés à Mario Balotelli. Mais le FC Sion et son président Christian Constantin appliquent d'autres «logiques».
17.05.2023, 18:56
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Ceux qui suivent le football et le conçoivent comme une vérité scientifique savent qu'avec autant d'argent, le FC Sion ne devrait pas être dernier. Tout au pire fatigué, emprunté ou malmené. Mais pas aussi insignifiant qu'il ne l'est depuis trois ans, à empiler les joueurs et les défaites dans un fatras d'inepties.

C'est un fait, la vérité du FC Sion n'a rien de scientifique. Elle n'a même pas de lendemain. Le club peut tour à tour réaffirmer son identité valaisanne et annoncer l'arrivée de trois nouveaux étrangers (juillet 2022). Il peut envisager une collaboration à long terme et licencier le même collaborateur parce qu'il part en vacances sans dire au revoir (Tramezzani). Il peut dire «Bettoni» et penser «Zidane». La seule cohérence, ici, est l'absence constante de logique.

Mais c'est là notre erreur de suiveurs, une erreur que nous nous obstinons à commettre depuis longtemps, d'analyser naïvement le FC Sion à travers le prisme de la performance et de la progression, du match d'après et de la défaite de trop, alors que la vérité est ailleurs: les «Constantin Boys» se préoccupent du «projet» comme de leurs premières jantes alu.

La geisha du président

C'est avec cette grille de lecture que nous jugeons les errances de Mario Balotelli, et que nous nous agaçons avec véhémence. Mais les Constantin ne pensent pas comme nous... Pour quelques malheureux millions, alors que le FC Sion semblait voué à une existence obscure, l'Italien est venu apporter un peu de lumière et de lustre. Les êtres désespérément rationnels que nous sommes, d'obédience utilitaire, pensons immédiatement à son apport sur le terrain et aux buts qu'il marquera. Mais les buts de Christian Constantin ne sont pas les mêmes.

CC est un séducteur né dont le pouvoir de séduction a besoin, pour briller en société, de compagnies séduisantes. L'un amène son aura à l'autre: c'est ce qu'on appelle le cercle vertueux (ou vicieux, selon affinités). Constantin, dans ses affaires, est un homme de conquêtes. Or il y a longtemps que le FC Sion ne ne lui procure plus cette extase, l'attente du grand soir et le plaisir quasi orgasmique d'affronter une crise, une vénérable institution (Uefa) ou un média très respectable (Le Nouvelliste). Il y a bien longtemps que le FC Sion n'est plus la geisha du président.

Même son fils le dit, CC s'ennuie. A 65 ans, il ne cache pas sa lassitude devant des saisons médiocres, sans procès ni protêts (ni progrès). «Christian n'est pas intéressé par la stratégie et les plans à long terme, explique l'une de ses relations d'affaire. Il n'est jamais aussi à l'aise que dans l'urgence, face aux difficultés. Voyez quand il coache l'équipe au pied levé: il adore ça. Il est dans son élément.»

Même ses fidèles suppôts racontent qu'il n'a jamais pardonné à Peter Zeidler, désormais entraîneur de St-Gall, d'avoir apporté autant de bonheur et de sérénité au FC Sion, puis d'avoir aggravé son cas en alignant les victoires - «c'était trop calme pour Christian, qui n'avait plus personne à virer ni d'interviews à donner».

Il ne lui reste que les coups, quelques coups rapides sur un marché des transferts où les jeunes geeks l'ont un peu remplacé, ou des approches plus pointues, plus modernes, plus numériques, l'ont un peu ringardisé. Peu importe que ces coups soient d'abord médiatiques (engagements de Gattuso, Balotelli, etc) ou économiques (joueurs à potentiel de plus-value), ils sont toujours plus rares et aléatoires. Mais ils restent essentiels à son engouement...

Ne nous fions pas aux apparences: Christian Constantin n'est pas surpris de barboter à 37 points de YB. Il connaît trop bien le football, ses mécanismes collectifs et sa complexité, pour croire qu’une procession de 60 entraîneurs, dans une longue suite d’opérations commandos, peut conduire à un développement durable. La culture du chaos ne peut lui apporter que des problèmes et des esclandres; mais n'est-ce pas aussi un motif de satisfactions personnelles, outre les retombées en termes de communication, de relations d'affaires et d'abattements fiscaux?

Un huis clos familial

Au classement, le déclin du FC Sion s'est accéléré avec l'arrivée au «pouvoir» de Constantin Junior, et l'entre-soi qui en a découlé. Des anciens employés décrivent un biotope familial où «l'on ne parle jamais de politique sportive et de projet de jeu», où «l'on recrute à partir de listes et de lubies», où «les visions d'avenir ne dépassent pas la semaine d'après». Les affaires sérieuses se règlent au chalet à Zermatt ou sur le bateau à Menton.

En un sens, le FC Sion est un moyen commode et agréable pour Christian Constantin d'avoir son fils à ses côtés, de lui apprendre les ficelles d'un métier grisant et de s'assurer qu'il grandisse bien - comme le dit un adage de grand-mère, pendant qu'il s'occupe du/au FC Sion, il ne lance pas de cailloux aux poules. N'importe quel parent attentionné agirait de cette façon.

Mais là où nous nous entêtons à voir un programme et un organigramme, nous devons réaliser qu'il n'y a peut-être qu'une relation père-fils. La venue de Balotelli en est l'exemple caricatural, notamment lorsque Barthélémy raconte avec fierté l'abnégation qui a présidé à ce transfert: «J'ai voulu redonner du plaisir à papa quand il vient au stade.» Un cadeau pour papa avec l'argent de papa - ce qui paraîtra cocasse et touchant à la fois.

Les pleins pouvoirs que s'abroge le duo ne l'empêche pas de salarier un aréopage de directeurs (Pablo Iglesias) et recruteurs (Léonard Thurre) dont personne, depuis l'extérieur, ne voit exactement à quoi il peut bien servir, sinon de caution morale. «Barth et Christian décident de tout», affirme un ex-employé. «Barth» prend le jet de la boîte pour aller visionner un joueur à l'autre bout du monde, après un détour par les boutiques et sans oublier de ramener un cadeau à papa, parfois des lunettes de soleil, parfois un renfort. Le directeur sportif en a l'étiquette, pas encore le bagage. L'avion avec lequel il vole de ses propres ailes ne lui appartient pas. Mais le coeur y est... Et tout le monde en Valais le sait: pour ses proches, Constantin est capable d'un très gros coeur.

Le president du FC Sion Christian Constantin, droite, et son fils le directeur sportif du FC Sion Barthelemy Constantin, gauche, observent depuis la tribune la rencontre de football de Super League en ...
Une ressemblance soigneusement cultivée.Image: KEYSTONE

La ressemblance père-fils se double chez Barthélémy d'un mimétisme confondant, au point qu'en écoutant la radio, il est difficile de savoir qui du père, du fils ou de Yann Lambiel est en train de parler. «Barth» fait du CC dans le texte. L'aplomb en héritage: quand il annonce d'une voix solennelle, avec la gravité de celui qui va révéler la formule du boson de Higgs, que «le foot, ça dure 90 minutes», ou quand il répète en complet Adidas et chaussures Gucci qu'il «va à la guerre», il ne se rend pas compte des sourires condescendants qu'il suscite, «parce que personne n'osera jamais lui dire», témoigne un autre ex-employé.

Idem quand Barthélémy Constantin explique qu'«une paire de couilles, ça ne se greffe pas, il faut la faire pousser»: on croirait entendre une célèbre formule de son père, «l'argent ne pousse pas dans les champs comme les carottes», à la seule différence que l'un préfère se concentrer sur les bourses et l'autre sur la semence.

Mais c'est comme ça... C'est le FC Sion et son propriétaire paie cher pour en disposer à loisir. C'est nous et nous seuls qui nous accrochons à nos références du modèle entrepreneurial classique, avec un président qui préside, un directeur qui dirige, un entraîneur qui entraîne, des joueurs qui jouent - et non un président qui entraîne de temps en temps pendant que son fils joue avec son budget dans l'espoir de s'offrir un destin de directeur sportif. Après tout, ça les regarde: n'est-ce pas notre responsabilité de manifester autant d'intérêt pour le FC Sion s'il en est sportivement indigne?

Un placard doré

Irrationnel, le FC Sion l'est jusque dans les salaires qu'il pratique, de 20 à 30% au-dessus des prix du marché selon des agents et pour une charge de travail nettement inférieure. Un manager cite des remplaçants à 30 000 francs par mois, installés en Valais depuis des années (ou à Montreux) sans que leur quiétude ne soit menacée, sauf quand ils oublient de payer le leasing de leur Mercedes AMG (ce joueur a été condamné le 5 mai dernier à une peine de prison avec sursis pour abus de confiance).

Les joueurs comprennent vite qu'ils ne risquent pas grand-chose. Au gré des interventions présidentielles, ils mesurent la position fragile de leurs entraîneurs successifs, dont ils ne respectent pas plus l'autorité (s'il en est) que les décisions. Ils savent tous la soixantaine de têtes que le patron a déjà coupées, au premier hochement désapprobateur. Ils savent qu'à tout instant, un hélicoptère ou une Ferrari peut surgir sur le terrain d'entraînement pour en changer le programme, voire le programmateur.

Avec ses coachs, et quand bien même il peut leur porter une affection sincère, le président utilise les ressorts de la mortification publique: attaques personnelles dans la presse, interventions dans le vestiaire, changements de tactiques ou de joueurs en plein match (ou licenciement de David Bettoni à la mi-temps d'un derby du Rhône, comme l'ont confirmé des joueurs servettiens qui affirment avoir «tout entendu et beaucoup rigolé»). Aujourd'hui, aucun technicien plus ou moins côté ne compromet son avenir en signant au FC Sion. On y vient pour lancer ou relancer une carrière, par naïveté ou par désespoir, éventuellement par amitié.

Les joueurs savent tout cela. Et quand ce n'est pas la faute de l'entraîneur, c'est celle de l'arbitre. Ou celle des Suisses allemands. Ou celle des bureaucrates. Ou c'est un complot national contre l'impérialisme valaisan. Le plus fort chez Christian Constantin, aujourd'hui, est cette habileté à ancrer l'opinion incontestable que sans lui, le FC Sion serait en Challenge league. Jusqu'à faire oublier que depuis trois ans, il y va tout droit... avec lui.

Mais cet homme n'est pas comme les autres. Ce club ne ressemble à aucun autre. C'est en cela qu'il est devenu distrayant et l'objet d'une attention sans doute disproportionnée, mais nécessaire à une forme de dramaturgie «grand public». C'est en cela que nous le regretterons un jour pour tous les autres où nous l'avons béni ou honni. C'est en cela, encore, que le transfert de Mario Balotelli ne peut être analysé sous l'angle du bienfondé et du rendement. Ce n'est pas un choix mais un kif. Ce n'est rien d'autre qu'une marotte de collectionneur fortuné, qui en a les moyens et le droit - comme chaque suiveur a le droit d'estimer que ce transfert est une sotte idée.

Et puisque que nous nous ennuyons parfois, nous aussi, dans ce championnat bien tranquille, sans beaucoup de monde à admirer ou détester, sans toujours des histoires très passionnants à lire, profitons de ces derniers instants où nous pouvons nous irriter gaiement, encore et encore, d'une gestion chaotique et impulsive. Une gestion où les carottes font corps avec les paires de couilles pour engendrer un transfert aussi insensé, aussi prodigieusement inutile, que celui de Mario Balotelli, et pour faire du FC Sion, un petit club de province aux pulsions anarchiques, un endroit à part sur la carte du football mondial. Et si c'était ça, aux yeux de(s) Constantin, la plus belle des victoires?

Certains témoignages et extraits sont issus d'un article publié en avril 2021 sur watson

Balotelli: «C'est ma faute si Messi et Ronaldo ont tout gagné»
Video: watson
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