D'habitude, l'escrime se retrouve tous les quatre ans sous les projecteurs en Suisse, à l'occasion des Jeux olympiques. Pour la fédération, Swiss Fencing, 2024 est un millésime particulier, et pas seulement à cause de Paris. Six semaines avant ces JO, les Championnats d'Europe se dérouleront à Bâle. Mais c'est justement au moment de la préparation décisive de ces deux grands événements que le feu prend au sein de la fédération.
Il y a d'abord une démission. Celle de Daniel Lang, directeur de la fédération et responsable du sport d'élite, qui a quitté son poste après seulement deux ans. L'ancien escrimeur olympique déclare officiellement que c'est «pour des raisons privées. C'est tout ce que j'ai à dire à ce sujet.»
D'après des voix internes, il serait plutôt question de relations compliquées, notamment avec le vice-président Christian Barozzi. Est-ce pour cette raison que le Tessinois écrit dans son rapport annuel sur la communication qu'«il y a souvent eu des problèmes de coordination avec le directeur»?
Le départ de Lang, même si sa gestion sportive de la fédération n'a pas fait l'unanimité, laisse un vide sensible dans le sport de compétition. En effet, depuis 2021 et le départ de Gabriel Nigon, ce département est également orphelin au niveau stratégique au sein du comité directeur.
Le président de la fédération, Lars Frauchiger, ne dit rien sur la démission de Lang. Seulement qu'«il sera difficile de le remplacer». La recherche d'un successeur est en cours. Des tentatives ont été faites, entre autres, en direction de l'Italie.
Mais c'est surtout le thème de l'argent qui a suscité l'inquiétude lors de l'assemblée de la fédération à Kloten. Pour la deuxième fois consécutive, l'année s'est terminée sur un déficit important. Les 300 000 francs de perte de 2021 étaient autodéterminés, car Swiss Fencing avait renoncé à 75% des droits de licence à cause de la pandémie de Covid-19. Mais les 250 000 francs de l'année dernière ont tiré la sonnette d'alarme. Frauchiger se montre autocritique:
Engager trop d'entraîneurs coûteux et envoyer des délégations d'encadrement trop importantes aux compétitions à l'étranger: ces deux raisons principales sont à l'origine de la perte qui a fait fondre les fonds propres de Swiss Fencing de la coquette somme de 700 000 francs à 150 000 francs en l'espace de 24 mois.
C'est pourquoi, en cette année importante de qualification pour les Jeux olympiques, il s'agit de «faire des économies». Et les athlètes souffrent également de cette débâcle financière. Depuis quelques mois, ils doivent verser à la fédération une taxe administrative de 25 francs pour chaque compétition à l'étranger. Cette taxe est justifiée, selon la fédération, par le fait que le Covid-19 a considérablement augmenté les dépenses liées à l'organisation des voyages. Un autre élément vient encore compliquer la situation, comme l'explique Lars Frauchiger: «Nous ne trouvons plus de bénévoles pour s'occuper de ce genre de choses».
Conséquences: même les figures de proue de l'escrime suisse, comme Max Heinzer ou Alexis Bayard, doivent désormais prendre en charge une partie des frais de voyage. Les escrimeurs et escrimeuses helvétiques ne sauront toutefois qu'en fin d'année combien leur billet olympique leur coûtera effectivement. En effet, une place sur le podium de la Coupe du monde par équipe, par exemple, leur permettrait de s'affranchir de la participation aux frais. Mais, pour un sportif d'élite, calculer un budget annuel sur ces bases est compliqué.
L'escrimeur valaisan Alexis Bayard, également porte-parole de sa corporation, a des mots très clairs:
Le moment choisi pour cette décision a de quoi faire grincer des dents. Le coup de massue de ces frais supplémentaire est arrivé en plein milieu de la saison. Alexis Bayard enchaîne:
Pour des raisons financières, l'étudiant en sport retournera vivre chez ses parents fin juin. Lars Frauchiger comprend la colère des athlètes. «Mais il fallait le faire. Si nous avions attendu une année de plus, nous aurions fait faillite», se justifie-t-il.
Comme Alexis Bayard, l'escrimeur lucernois Max Heinzer est fâché.
La fédération a par exemple oublié d'annuler à temps un camp d'entraînement à Tenero. Le coût de cet oubli? Environ 2'000 francs.
Ces difficultés financières entraînent aussi des ajustements au sein du comité directeur. Le Saint-Gallois Till Ferst sera désormais responsable des finances à la tête de l'association. Il succède à Florence Dinichert, qui quitte déjà ses fonctions après à peine deux ans. «Je n'ai pas pu exercer mon travail comme je l'aurais souhaité. Mes possibilités d'action étaient limitées», se déculpabilise l'ancienne pentathlète moderne. Reste à savoir si elle restera ou non au comité directeur.
Lors de l'assemblée de Swiss Fencing, les délégués ont clairement exprimé leur colère face au résultat annuel en n'accordant la décharge au comité directeur qu'à une très faible majorité. «C'était une gifle», selon le président Lars Frauchiger. «Nous devons nous améliorer».
Différentes mesures doivent permettre d'alléger le budget. «Le nombre d'encadrants lors des compétitions sera réduit». La relève est particulièrement touchée: certains tournois seront supprimés. «Une compétition à l'étranger coûte environ 20 000 francs», explique Frauchiger.
La fédération a du mal à trouver des moyens financiers. Seule une petite centaine de dossiers de sponsors seraient ouverts. «Dans la plupart des cas, nous recevons une réponse négative. Le simple fait d'avoir un entretien est déjà un succès», déplore Swiss Fencing.
Alors que les critiques tapent du poing sur la table en interne, ils se font discrets en public. Ça s'explique notamment par le fait que «personne ne peut vraiment parler librement dans le milieu de l'escrime», comme le souligne un haut fonctionnaire. Il déplore les conflits d'intérêts et trop d'intérêts personnels chez les décideurs, exige un changement de mentalité rigoureux et espère, si nécessaire, une réaction plus forte lors des prochaines élections du comité directeur dans un an.
Adaptation en français: Yoann Graber