C'est la belle histoire de cette édition 2025 du tournoi de Gstaad. Issu des qualifications, le jeune Péruvien Ignacio Buse – 21 ans, 167e mondial avant de monter dans l'Oberland bernois – a atteint les demi-finales. Lors de ce joli parcours, il a remporté les trois premiers matchs de sa carrière dans un tableau principal d'un événement estampillé ATP. D'abord face au Serbe Djere (60e mondial), ensuite contre le Polonais Kamil Majchrzak (81) et enfin face à l'Argentin Roman Andres Burruchaga (136). Il ne s'est incliné qu'en demi-finale, battu par l'Argentin Juan Manuel Cerundolo (109).
En plus d'avoir des faux airs de Jannik Sinner, le rouquin filiforme a une autre particularité: celle de s'entraîner à la TEC Carles Ferrer Salat à Barcelone, un lieu très singulier dans le tennis. «En fait, ce n'est pas une académie», nous corrige d'emblée (et avec bienveillance) l'entraîneur de Buse, Juan Lizariturry.
Oui, la TEC Carles Ferrer Salat est un ovni dans ce sport, où les académies privées (que les tennismen et tenniswomen doivent grassement payer pour s'y entraîner) fleurissent sur toute la planète. Mais pourquoi un tel lieu alors qu'il serait si facile de gagner de l'argent avec le tennis plutôt que d'en perdre?
La réponse se trouve déjà dans la devise de la TEC Carles Ferrer Salat sur sa page Instagram:
Le centre barcelonais, inauguré en 2020, est né d'un mélange aussi curieux que rare entre philanthropie et tennis. Ses vingt pensionnaires – dont la figure de proue est Pablo Carreno Busta (34 ans, ex-10e mondial) – sont poussés à l'excellence raquette en main, mais ils doivent aussi et surtout devenir des citoyens consciencieux. «On essaie de former de bonnes personnes», résume avec enthousiasme Juan Lizariturry.
Derrière ce projet, il y a un homme. Ou plutôt une famille: les Ferrer Salat. Le père, Carles Ferrer Salat (1931-1998), était une figure majeure de l'Espagne de la deuxième moitié du 20e siècle. Ancien tennisman, membre du CIO et principal promoteur des JO 1992 de Barcelone, il a fait fortune à la tête d'une multinationale dans la pharmaceutique. Son fils, Sergi, lui a succédé et a créé la TEC Carles Ferrer Salat, qu'il finance avec les revenus de sa boîte, le groupe Ferrer.
«Sergi Ferrer Salat a déploré que les gens ne soient pas très conscients de ce qu’il se passe dans le monde. C'est notamment le cas de beaucoup de joueurs de tennis, qui vivent dans une bulle. Ils sont focalisés sur leur carrière et n'ont pas le temps de s'intéresser aux problèmes de la société», explique Juan Lizariturry (34 ans), lui-même ancien tennisman pro.
Cette prise de conscience des grands thèmes de société, comme les inégalités économiques ou l'écologie, se fait à travers des expériences très concrètes. Chaque vendredi, Sergi Ferrer Salat anime des discussions avec les tennismen où on parle politique, écologie ou actualité, avec vidéos à l'appui. «Un jour par semaine, les joueurs et les coachs cuisinent 2 000 repas pour des SDF ou des personnes dans le besoin de la région de Barcelone, qu'on va parfois aussi apporter nous-mêmes», détaille Lizariturry.
L'entraîneur d'origine basque est convaincu de la cause – c'est surtout pour ça qu'il a rejoint le projet il y a cinq ans – et aussi de son impact sur le court de tennis:
Ignacio Buse se dit lui aussi «reconnaissant et fier de faire partie de cette équipe». «J'espère pouvoir partager ces belles valeurs et apporter ma petite pierre à l'édifice», s'enthousiasme le natif de Lima, qui a rejoint la TEC Carles Ferrer Salat fin 2023. Et lui aussi joint le geste à la parole:
Le jeune homme de 21 ans surprend par sa maturité, avec son discours posé et dans lequel on sent de la franchise. «Oui, je suis super content d'être en quarts de finale, mais je sais aussi qu'il y a beaucoup de choses à côté du tennis», nous lâchait-il seulement quelques minutes après sa qualif' historique à Gstaad.
Oui, cette relativisation de l'importance du tennis a de quoi – presque paradoxalement – pousser rapidement le Péruvien dans le top 100 (il pointe actuellement au 133e rang mondial), en plus de ses excellentes aptitudes raquette en main (jeu de fond de court très solide et revers à deux mains particulièrement efficace). Un certain Novak Djokovic, recordman de titres en Grand Chelem, expliquait qu'il ne ressentait aucune peur en devant sauver une balle de match, après s'être entraîné, enfant, sous les bombes...