«Une gifle aux sportifs ukrainiens» pour Nancy Faeser, ministre allemande des Sports; «la fin du sport mondial tel que nous le connaissons aujourd'hui si les gouvernements décidaient de la participation ou non de certains athlètes», d'après Thomas Bach, président du Comité international olympique (CIO).
Menaces de boycott de la part de l'Ukraine et de certains de ses alliés, critiques envers cette décision – jusqu'en Russie, en raison des contraintes de participation jugées trop sévères – et tensions diplomatiques: le CIO est en mauvaise posture, une année avant les Jeux de Paris 2024. Peut-il réellement rester hermétique aux conflits internationaux? Patrick Clastres, directeur du Centre d'études olympiques et de la globalisation du sport à l'Université de Lausanne, décrypte cette question.
L'un des arguments du CIO pour justifier sa décision est que d'autres pays dans le monde subissent des conflits armés, soulevant ainsi la question d'un éventuel traitement de faveur envers l'Ukraine. Quel est votre avis?
Patrick Clastres: Ce qui change ici, par rapport à d'autres conflits, c'est qu'il s'agit d'une guerre d'annexion au coeur d'une Europe déjà éprouvée par deux guerres mondiales. Et surtout, il faut se demander ce que voulons-nous défendre: la dictature ou la démocratie? La paix ou la guerre?
Historiquement, a-t-il déjà réellement pris position lors des Jeux olympiques?
Après la Seconde Guerre mondiale, Pierre de Coubertin et ses successeurs ont profité du fait que le comité olympique national allemand n'était plus actif – c'est lui qui inscrit les sportifs aux compétitions – pour justifier leur non-participation aux prochains Jeux. En 1964 à Tokyo également, l'Afrique du Sud n'a pas été invitée à cause du régime d'apartheid en place dans le pays. En 2014, en revanche, lors de l'annexion de la Crimée en pleins Jeux de Sotchi, le CIO n'a pas agi malgré le fait que la Charte olympique ait été enfreinte.
(Réd: en 2014, les athlètes russes ont été accusés de dopage institutionnalisé, violant ainsi l'un des principes de la charte. Dans de tels cas, des suspensions ou le retrait des Jeux olympiques peuvent être prononcés.)
En février 2022, le CIO excluait toutefois les Russes et Biélorusses des compétitions, en réaction à l'invasion de l'Ukraine. Aujourd'hui, une année avant les JO de Paris 2024, il décide de réintégrer leurs athlètes aux compétitions. Comment expliquer cette décision?
Même si le CIO ne se prononce pas encore sur la participation – ou non – des athlètes russes et biélorusses aux prochains Jeux, il sait pertinemment que si les sportifs ne passent pas les qualifications – qui commencent dès à présent –, ils ne pourront pas participer. Il ne veut donc pas leur fermer cette option et est actuellement en train de créer les conditions qui permettraient un tel scénario. Il essaie également de contenter les deux côtés, la Russie et l'Ukraine et leurs alliés respectifs. Pourtant, au vu des réactions, cette décision ne satisfait personne.
Selon vous, la Russie et la Biélorussie pourront-elles participer aux prochains Jeux olympiques?
Eventuellement, si la guerre se termine d'ici là. Le problème est que dans ce cas de figure, les Ukrainiens ont déjà dit qu'ils ne participeraient pas.
Aujourd'hui cependant, c'est aux fédérations internationales de décider de qui participe ou non?
Oui. Le CIO leur a en quelque sorte refilé la patate chaude.
Les conditions pour participer restent tout de même strictes: les athlètes devront concourir sous bannière neutre et à titre individuel, ne pas soutenir activement la guerre en Ukraine et ne pas être sous contrat avec l'armée ou les agences de sécurité.
De telles restrictions risquent en effet d'en décourager plus d'un ou de n'en qualifier qu'une minorité. Elles permettront peut-être également aux pays qui soutiennent l'Ukraine de mieux accepter la décision du CIO, car ces conditions sont contraignantes.
Est-ce qu'il sera possible de surveiller et de s'assurer qu'elles sont bel et bien respectées?
Il faudra mettre en place une task force et les fédérations internationales devront déployer un grand nombre d'observateurs. Ces personnes traceront les athlètes et s'assureront qu'ils ne soutiennent pas la guerre, par exemple en scrutant leurs déclarations publiques et dans la presse.
Y aurait-il des risques pour les athlètes russes, biélorusses et ukrainiens s'ils participent tous aux prochains Jeux olympiques?
On pourrait s'attendre à des heurts entre athlètes ou entre spectateurs, mais également à des prises de position de certains sportifs ou une augmentation des manifestations politiques. De manière générale, il y aura une crainte que la situation s'envenime et que cela ternisse l'image du sport international.