C'est un geste qui en dit long sur son talent et sa personnalité. Lorsqu'en août dernier - aux Mondiaux de Budapest - Noah Lyles a conclu en tête le relais américain, il brandissait fièrement sa main. Ou plutôt trois de ses doigts, pour exposer au monde sa razzia sur 100 mètres, 200 mètres et 4x100 mètres. Autant de médailles d'or: personne ne l'avait fait depuis un certain Usain Bolt en 2015. Le sprinter en veut désormais plus. Il rêve de lever un quatrième doigt, cet été aux Jeux olympiques de Paris 2024.
Noah Lyles veut marcher sur les pas d'Alvin Kraenzlein (1900), Jesse Owens (1936), Fanny Blankers-Koen (1948) et Carl Lewis (1984). Mais à la différence de ces éminents sprinters, qui ont utilisé la longueur ou les haies pour atteindre le quadruplé, l'Américain compte uniquement se concentrer sur le sprint plat. Il désire remporter le 100 mètres, le 200 mètres et les relais du 4x100 et 4x400 mètres.
Le Floridien aborde cet objectif avec confiance, sûr de ses forces. Il peut puiser - pour se rassurer - dans les performances de Florence Griffith-Joyner, qui n'est pas passée loin d'une telle réalisation en 1988. «Flo-Jo» avait échoué, uniquement parce que le relais américain du 4x400 mètres avait été battu par celui de l'Union soviétique.
Lyles s'attaque à ce qu'Usain Bolt n'a jamais osé faire. Une façon de se démarquer de la star jamaïcaine, mais surtout, de s'imposer comme la nouvelle coqueluche de l'athlétisme mondial. Car malgré ses remarquables performances, l'Américain est encore loin de la stature du «roi Usain». Il manque toujours à la discipline reine du 100 mètres un homme capable de dompter le chronomètre. Un athlète susceptible d'électriser les foules et de dominer la concurrence. C'est ainsi que les vraies stars de l'athlétisme se trouvent ailleurs. Par exemple à la perche, où règne Mondo Duplantis.
Avec six titres mondiaux à son actif (dont un triplé), Noah Lyles, 26 ans, a prouvé qu'il était un athlète de calibre international. Mais s'il souhaite devenir un jour le digne successeur d'Usain Bolt, il doit encore démontrer toute sa valeur. Son palmarès aux Jeux olympiques ne peut se limiter à une simple breloque en bronze. Le spécialiste du 200 mètres doit aussi nettement progresser dans la discipline phare qu'est le 100 mètres. Au bilan des meilleures performances de tous les temps, Lyles ne se place qu'à une timide 15e place (9'83).
Noah Lyles doit frapper fort pour que le grand public retienne son nom. Il joue déjà sur son personnage, comme le faisait à l'époque Usain Bolt. C'est un extraverti. Un véritable show-man: «J'ai appris très tôt à jouer le jeu, comme vous pourriez l'appeler, à être commercialisable», confiait-il en début d'année à l'agence Reuters. Cela a payé, car grâce à ses résultats et à son attitude, son contrat avec Adidas a été revu à la hausse. On parle de 10 millions de dollars par an, un accord sensiblement équivalent à celui que Bolt avait signé avec Puma.
Le sprinter américain irait encore plus loin s'il abaissait l'un des records de «la Foudre». Noah Lyles a sans doute celui du 200 mètres dans les jambes. En tant que 3e meilleur performeur mondial de tous les temps, il n'est qu'à 12 centièmes des 19'19 de Bolt, réussis à Berlin en 2009.
Le chemin sera toutefois semé d'embûches. D'abord parce que Lyles n'est pas certain de rééditer ne serait-ce que le triplé des Mondiaux, en raison de la concurrence sur 100 mètres. Ensuite parce que sa place dans le relais 4x400 mètres américain n'est pas garantie.
Il figurait dans l'équipe vice-championne du monde en salle, cet hiver à Glasgow. Il avait réalisé le meilleur temps de tous les troisièmes relayeurs, mais n'était que le troisième du collectif américain. Lyles n'avait battu que Jacory Patterson, dont le temps n'est pas comparable, puisque l'on parle du lanceur. En interne, la convocation du sprinter avait créé des remous, pour la simple et bonne raison qu'il n'est pas un spécialiste du tour de piste - même s'il brillait en 2016 aux Penn Relays, le plus ancien meeting des Etats-Unis, avec son équipe du 4x400 mètres. Aujourd'hui, Lyles ne court pas cette discipline en individuel, alors que les Etats-Unis regorgent de talents sur 400 mètres.
Lyles n'a que faire des critiques: «Cela me donne envie de leur répondre: soyez plus rapides, poussez-moi dehors». Il doit sans doute se satisfaire - intérieurement - de la contre-performance du 4x400 mètres américain, ce week-end aux Relais mondiaux du côté des Bahamas. Il n'était pas retenu et a assisté à la disqualification américaine, à cause d'une erreur de transmission, alors qu'il glanait l'or avec ses équipiers du 4x100 mètres.
Il est encore trop tôt pour savoir si Noah Lyles sera aligné sur cette épreuve aux Jeux de Paris 2024. Tout se jouera sans doute en juin prochain, à Eugene, lors des impitoyables sélections américaines.