Un regard légèrement rêveur, un visage doux, une voix forte, ce qui dégage instantanément une impression de calme et de sérénité. Ce garçon est l'antithèse des vieux routiers de l'équitation qui se montrent parfois bruyants et vantards. Il écoute attentivement et s'exprime avec minutie. Il est tantôt ouvert lorsqu'il s'agit d'évoquer sa relation au cheval, tantôt secret lorsqu'il s'agit d'aborder les tentations auxquelles un athlète de 23 ans peut ou ne peut pas résister. Toute l'apparence de ce BG discret colle à l'image du gendre idéal.
Ce jeune homme, c'est Edouard Schmitz. De nombreux experts voient en lui la future star du saut d'obstacles. No 31 au classement mondial, il est le troisième Suisse le mieux classé derrière Martin Fuchs (2) et Steve Guerdat (26). Dans la catégorie des moins de 25 ans, il est même No 2 mondial. Cette semaine, Edouard Schmitz participe pour la première fois à la finale de la Coupe du monde organisée à Omaha, Nebraska.
Edouard Schmitz a grandi à Genève, mais s'exprime dans un suisse allemand presque sans accent. Comment cela se fait-il? «Mes parents sont bilingues», explique-t-il. Avec son père, il parlait le suisse allemand, avec sa mère le Hochdeutsch. Ce n'est que lorsqu'il est entré à l'école à Genève que les Schmitz se sont essentiellement exprimés en français à la maison. Pour Edouard, le multilinguisme est quasiment allé de soi. En revanche, convaincre ses parents de sa passion s'est avéré plus compliqué.
Coûteux, chronophage, risqué. Telles sont les objections de nombreux parents lorsque leurs enfants manifestent l'envie de commencer l'équitation. C'est aussi le cas d'Edouard Schmitz. Pendant des années, il a supplié ses parents. Sa mère trouvait qu'avec le saut d'obstacles, il poussait trop loin son goût du risque. On lui a prescrit la natation, le ski, le football ou le judo - mais lui ne voulait entendre parler que de chevaux.
A sept ou huit ans, il a fait céder ses parents. A partir de ce moment-là, il n'y a plus eu que le cheval et l'écurie dans sa vie. Il n'a pas abandonné l'école, bien au contraire. Il n'avait pas 18 ans quand il a passé sa maturité. Un surdoué? Schmitz sourit et lâche: «J'ai aimé aller à l'école, mais j'étais loin d'être considéré comme un surdoué.» Peut-être pas à l'école, mais plutôt à cheval? «C'est aux autres de juger.»
Inutile de lancer un grand sondage: en août dernier, Edouard Schmitz a remporté le prestigieux «Dublin Horse Show» et laissé les experts bouche bée. Puis il a confirmé cet exploit dans plusieurs concours, grâce à sa prise de risque, à tel point qu'il s'est vu attribuer l'une des deux places suisses pour la finale de la Coupe du monde, aux côtés du tenant du titre Martin Fuchs.
Jamais personne n'a dû le pousser à aller à l'écurie. Jamais le temps n'a été trop mauvais pour une sortie à cheval. Tout ce qui lui est tombé sous la main en matière de littérature équestre, il l'a absorbé avec avidité. Mais Schmitz ne cache pas que la chance a également joué un rôle important dans son parcours. Sa chance, c'est que la fille de son mentor montait dans la même écurie. L'homme d'affaires tessinois Arturo Fasana a rapidement été séduit par la volonté de cet adolescent passionné. Lorsqu'il a cherché un nouveau cavalier pour ses chevaux, son choix s'est porté sur Edouard Schmitz. Le Genevois avoue que Fasana est devenu pour lui un «deuxième père».
La prochaine étape sur le chemin du bonheur s'appelle Thomas Fuchs. Pour Schmitz, il a toujours été clair qu'il quitterait le foyer familial dès qu'il aurait passé sa maturité. Il s'est décidé pour Zurich, a commencé en 2017 des études en génie mécanique avant de passer à l'informatique, «parce qu'il faut penser de manière créative et ramener des problèmes complexes à leur plus stricte simplicité». Ce domaine l'attire. Mais pour Schmitz, la recherche d'une bonne écurie était plus urgente que celle des études appropriées. Lorsqu'il a demandé conseil, non sans arrière-pensée, à l'entraîneur national Thomas Fuchs, ce dernier lui a répondu: «La meilleure écurie? Bien sûr, la mienne.»
Le Genevois parle d'une chance énorme de pouvoir bénéficier du savoir de la famille Fuchs, grande dynastie équestre. Il y a peut-être des gens qui s'étonnent que l'on fasse de Schmitz un concurrent de Martin, dernier prodige de la lignée. Mais la famille Fuchs est étrangère à ce genre de raisonnement. Schmitz: «Ma carrière n'aurait jamais pris une telle tournure si je n'avais pas rencontré la famille Fuchs.»
Lorsqu'il fréquente l'écurie zurichoise, il n'a pas encore 18 ans. Il doit donc prendre le train depuis la ville de Zurich pour se rendre à Wängi, en Thurgovie, où il passe généralement six heures par jour à partir de 7h30. «L'équitation est complexe parce qu'il s'agit d'un sport d'équipe où le coéquipier (réd: le cheval) a certes ses propres émotions et ses idées, mais ne peut pas les articuler. Cela signifie que je dois investir beaucoup de temps dans la relation avec le cheval.»
Mais que se passe-t-il si le cheval passe une mauvaise journée? Qu'est-ce que l'on peut imposer à un animal qui fait huit fois son poids? Où commence la cruauté? Schmitz est clair: «Le cheval est un animal puissant de 600 kilos, on ne peut pas aller contre sa volonté. Un chien t'attaque si tu fais quelque chose de mal. Mais le cheval s'enfuit lorsqu'il perçoit un danger. Il n'y a donc aucune raison de faire preuve de violence. En tout cas, je suis content lorsque des cas de cruauté envers les animaux sont relayés dans des médias, car cela sensibilise aussi ceux qui évoluent dans une zone grise.»
Six chevaux sont à sa disposition. Arturo Fasana lui en confie trois et deux autres appartiennent à ses parents. Ce qui est piquant dans cette histoire, c'est que «Gamin van't Nasstveldhof», propriété de Fasana, retiré de l'écurie de Paul Estermann après que celui-ci ait été dénoncé pour maltraitance animale, et «Quno» de la famille Schmitz, sont les meilleurs chevaux. Etant donné qu'une bonne partie des gains revient au propriétaire, on pourrait supposer que Schmitz a une préférence pour «Quno». Or manifestement pas. Sur ce sujet, Schmitz est catégorique: «Ni Monsieur Fasana ni moi-même ne pensons à l'argent lorsqu'il s'agit d'équitation.»