Il est très rare qu'un capitaine, immédiatement après une déconvenue, attaque son entraîneur de manière aussi frontale, ouverte et répétée. Granit Xhaka a sonné la révolte contre Murat Yakin avec ses déclarations au Kosovo («un football de préau», «des entraînements sans intensité»), où la Nati a encore concédé le nul dans le temps additionnel (2-2). Que faut-il en déduire?
La relation entre Xhaka et Yakin est très compliquée. Ce sont deux mâles alphas qui aiment être chefs et le revendiquent volontiers. Quand tout va bien - et si les deux tirent à la même corde - , ce leadership est bénéfique à une équipe. Mais en cas de crise, l'opposition des egos peut devenir problématique. C'est précisément le cas de l'équipe de Suisse. Et c'est pourquoi cette situation devient dangereuse.
Lorsque Yakin est devenu sélectionneur, Xhaka a longtemps été absent, en raison du Covid et d'une blessure à un genou. Le capitaine a manqué les matchs décisifs de qualification à la Coupe du monde et a dû se réinsérer par la suite. Il s'est alors frotté une première fois à Yakin («Les entraîneurs qui me connaissent me font jouer à un autre poste»).
Il a fallu beaucoup d'habileté à Yakin et deux visites en personne à Londres pour rétablir la relation. Est-ce à nouveau possible après la deuxième attaque de Xhaka contre la compétence de l'entraîneur? C'est la grande question. Une question à laquelle Yakin doit répondre le plus rapidement possible. Car la réponse à cette question aura une influence décisive sur l'avenir de l'équipe.
Yakin pourrait provoquer une lutte de pouvoir. Il pourrait punir Xhaka, lui retirer son brassard de capitaine, ou même lui imposer une période de réflexion. Il aurait suffisamment d'arguments pour le faire. Pourtant, il serait bien mal avisé d'opérer ainsi.
Pourquoi? Granit Xhaka a acquis dans cette équipe une importance qui ne pourrait pas être plus grande. Il donne les impulsions sur le terrain. Et il donne le ton en dehors. Xhaka est le leader incontesté d'une équipe qui n'en regorge pas. Le gardien Yann Sommer en est un, mais il est bien trop diplomate pour aborder les problèmes en public. Manuel Akanji, auteur d'un triplé avec Manchester City, est prédestiné à ce rôle, Yakin a récemment exigé de lui qu'il s'affirme, mais on ne voit pas encore beaucoup sa personnalité.
Autre chose importante à savoir: lorsqu'il s'agira de trancher l'avenir de Yakin - son contrat expire après l'Euro 2024 - Xhaka, en leader d'opinion, jouera un rôle décisif.
Si Yakin veut rester entraîneur national, il doit fédérer les cadres autour de lui. Or il ne peut y parvenir que s'il règle la querelle avec Xhaka de manière modérée. S'il réussit à dire à Xhaka qu'il n'apprécie pas ses manières, mais que dans le même temps, il continue de manger des couleuvres en public et de soutenir officiellement son capitaine. Exactement comme il l'a fait avant la rencontre au Kosovo («Si Xhaka n'existait pas, il faudrait l'inventer»).
Samedi soir, Xhaka a répété à plusieurs reprises ses critiques à l'encontre de Yakin. C'est pourquoi il est trop réducteur de penser qu'il s'agit simplement d'un trop-plein d'émotions après un voyage mouvementé dans sa deuxième patrie, le Kosovo. La grande question est donc de savoir ce que Xhaka cherchait à dire avec ses critiques. Quel message il avait envie de transmettre.
Dans le meilleur des cas, il a voulu secouer tout le monde à neuf mois de l'Euro. Parce qu'il se rend compte que cette équipe nationale accumule les dérapages après ses 2-2 contre la Roumanie et le Kosovo, avec des buts encaissés stupidement dans les dernières secondes du temps additionnel.
Autre hypothèse plus inquiétante: après le catastrophique 1-6 concédé en huitième de finale de la Coupe du monde et les débats houleux autour des choix de Yakin, de nombreux non-dits ne sont peut-être pas réglés. Ce mini-traumatisme aurait laissé bien plus de séquelles que l'entraîneur et les officiels ne veulent l'admettre. Conclusion: le crédit de l'entraîneur au sein de l'équipe s'est effrité. Si Xhaka le décide, les jours de Yakin en tant que sélectionneur national seront bientôt comptés.
Ce flottement serait fatal dans la perspective de l'Euro en Allemagne, où la génération Xhaka compte vivre son couronnement.