Le vainqueur du championnat suisse de curling, ce samedi à Genève, exultera probablement un peu moins que les années précédentes. Et pour cause: la modification des critères de sélection pour les grands événements implique que le titre de champion n'est plus synonyme de billet pour les Mondiaux. Ce sacre national perd donc nettement de sa valeur. Et tout ça, l'année des championnats du monde masculins à domicile.
Ceux-ci se dérouleront en effet du 30 mars au 7 avril à Schaffhouse, deux semaines après les Mondiaux dames au Canada. Pour ces deux événements, les représentants suisses sont déjà connus. Pour la première fois, ils ont donc été élus sur la base d'un système de points complexe. Chez les hommes, il s'agit du CC Genève, mené par le skip soleurois Yannick Schwaller. Les curleuses du CC Aarau, quadruple championnes du monde et guidées par la skip Silvana Tirinzoni, défendront quant à elles les couleurs suisses chez les dames.
Ce nouveau règlement de qualification a un avantage: notre pays est assuré d'être représenté par une équipe constante, qui a de très bons résultats sur une longue période, et non plus par une formation qui aurait un coup d'éclat, un one shot, lors de la semaine des championnats suisses, et dont les futures performances risqueraient d'être hasardeuses. Désormais, les résultats obtenus lors des tournois du Grand Chelem ont un poids important dans la sélection.
Le problème, c'est que seuls les clubs figurant dans le top 15 du classement mondial peuvent s'y présenter. Et jusqu'à récemment, seuls Genève et Aarau en faisaient partie. Alors que Silvana Tirinzoni et les Argoviennes sont même numéro 1 mondial depuis quelques semaines, le Genevois Yannick Schwaller et ses coéquipiers occupent la 5e place.
Le CC Aarau féminin a représenté la Suisse aux deux derniers tournois olympiques, à cinq des six derniers Mondiaux et à tous les championnats d'Europe depuis 2017. Durant cette même période, chez les hommes, Genève a tout de même laissé la place à la concurrence nationale, une fois pour les championnats d'Europe, et une autre fois pour les Mondiaux.
Les perspectives des numéros 2 suisses, et donc leur motivation à tout sacrifier pour le curling, sont mises à mal. Ces viennent-ensuite doivent maintenant se concentrer sur des projets à moyen et long terme. Si tout se passe bien, le billet pour les championnats d'Europe pourrait se disputer cet automne lors d'un tournoi interne. Et pour les Jeux olympiques d'hiver 2026, il faudrait rapidement trouver un format de qualification pour que les outsiders puissent contester leur place aux leaders actuels chez les hommes et les femmes.
Il ne fait aucun doute que Genève et Aarau ont mérité leur ticket pour les Mondiaux. Mais chez les hommes, le numéro 2 dans la hiérarchie nationale n'est pas n'importe qui: il s'agit du numéro 10 mondial, le skip appenzellois Michael Brunner et son équipe de Berne.
Lui et son coéquipier argovien de longue date, Romano Keller-Meier, jouaient encore avec Yannick Schwaller il y a deux ans. Alors que ce dernier a été transféré à Genève, Keller-Meier et Brunner ont d'abord dû se réorganiser sur et en dehors de la glace. La première année post-restructuration a été compliquée et les chances de participer aux Championnats du monde à domicile en 2024 se sont ainsi rapidement envolées.
Mais cet hiver, les choses ont vraiment commencé à bouger pour l'équipe bernoise. Avec Anthony Petoud et Andreas Gerlach, leurs cadets de six ans, les deux curleurs expérimentés (28 ans), qui ont déjà participé à des championnats d'Europe et du monde, se sont hissés parmi l'élite mondiale. La constance retrouvée – huit qualifications pour les demi-finales de onze tournois internationaux – ainsi que des victoires éclatantes contre les champions du monde actuels et passés ont été des facteurs décisifs.
Seul le bilan des confrontations directes contre Genève et leur ex-coéquipier, Yannick Schwaller, doit être fortement amélioré. Depuis la séparation, Berne a perdu les sept duels, y compris en finale des championnats de Suisse, il y a un an, et cette semaine lors du tour préliminaire de cette même compétition. Romano Keller-Meier ne cherche pas d'excuses:
L'Argovien admet que ce n'est pas facile de le faire quand il n'y a pas de réelle chance d'obtenir une place aux Mondiaux à domicile, et qu'il faut s'accrocher à un objectif à plus long terme pour se motiver au sein de l'équipe. «On aimerait bien représenter encore deux ou trois fois la Suisse lors de grands événements», se projette-t-il. Selon lui, la solution de sélection actuelle menace beaucoup d'équipes au sein de l'élite nationale.
Michael Brunner et Romano Keller-Meier ont de bons souvenirs des championnats suisses. Ils y ont remporté le titre en 2020 et 2022. Cette édition coïncidant aussi avec une année paire, il serait temps pour l'équipe bernoise de battre enfin Genève. Car même si cette victoire de prestige ne permettra pas d'obtenir un billet pour les Mondiaux cette année, il faut continuer à gagner pour espérer, un jour, représenter à nouveau le pays.
Adaptation en français: Yoann Graber