La carrière d'Egan Bernal s'est interrompue le 24 janvier 2022. Ce jour-là, il percutait avec son vélo de contre-la-montre un bus à l'entraînement. Le Colombien aurait pu perdre la vie. Ou devenir paraplégique, comme le pronostiquaient les médecins à 95%.
Il n'en a rien été. Mais le choc, terrible, a toutefois eu de lourdes conséquences sur son corps. Bernal a dû subir cinq opérations, dont certaines à la colonne vertébrale, forcément risquées. Il s'est fracturé onze côtes, deux vertèbres thoraciques, une vertèbre cervicale, le fémur, la rotule ou encore le deuxième métacarpien.
Le vélo a longtemps été mis de côté. Durant les deux premiers mois de sa convalescence, Egan Bernal n'y pensait plus. Il devait réapprendre les gestes du quotidien. Mais il n'a jamais baissé les bras, et alors que certains doutaient de sa capacité à réintégrer un jour le peloton professionnel, il est réapparu en course tout juste sept mois après son accident. Un retour tout en discrétion, sur le Tour du Danemark.
Si la fin de saison 2022 n'a servi qu'à tourner les jambes, Bernal abordait 2023 de manière plus ambitieuse, après une énième opération durant l'hiver - une rhinoseptoplastie transformant son visage. Mais gêné par son genou, le grimpeur de poche a d'abord enchaîné les abandons et les places anecdotiques. Bien loin de ce qu'il avait pu démontrer par le passé, en remportant notamment le Tour de France, le Tour d'Italie et le Tour de Suisse.
Egan Bernal a toutefois retrouvé des couleurs au Tour de Romandie en avril 2023. Il signa sur la course chère à Richard Chassot une encourageante 8e place au classement général, terminant au contact des meilleurs lors de l'étape reine, celle de Thyon 2000. Le coureur d'Ineos Grenadiers poursuivait avec une 12e place quelques semaines plus tard sur le Critérium du Dauphiné.
Le Colombien a par la suite retrouvé les routes du Tour, là où il a signé le plus beau succès de sa carrière. L'émotion était vive au moment de prendre le départ. Son rôle s'est néanmoins cantonné à celui d'équipier pour Geraint Thomas et Carlos Rodriguez. Il s'est aussi aligné sur le Tour d'Espagne plus tard dans la saison, mais là encore, nous n'avons pas retrouvé celui qu'il était avant qu'il ne chute grièvement.
Bernal est certes parvenu à enchaîner les courses en 2023, mais des questions subsistaient encore. Allait-il parvenir - alors qu'il est encore jeune (Egan Bernal est aujourd'hui âgé de 27 ans) - à retrouver un jour son meilleur niveau? A redevenir un leader sur les courses à étapes? A peser en montagne, alors que depuis sa dernière victoire sur le Tour de France, les Pogacar, Vingegaard et Evenepoel se sont installés au sommet du cyclisme mondial?
Le début de saison du coureur d'Ineos Grenadiers nous apporte quelques éléments de réponse. En janvier, il est monté sur son tout premier podium depuis son accident. Et pas n'importe lequel. Egan Bernal a pris la troisième place de la course en ligne des Championnats de Colombie. Une épreuve toujours relevée. Pour la première fois, il a retrouvé ses sensations.
L'ancien vainqueur du Giro est également parvenu à surmonter ses craintes. En course, il a lâché les freins, preuve que sa chute ne le hante plus. «Avant, je m’en fichais si je tombais dans une descente, je faisais tous mes virages à fond. C’est ainsi que je courais, sans crainte, et c’est à nouveau ce que j’ai ressenti», confiait-il à l'arrivée.
Egan Bernal s'est ensuite illustré sur son tour national. 5ᵉ du général, il s'est classé 4ᵉ en haut de l'Alto del Vino (2'843 mètres), devant Rigoberto Uran, Esteban Chaves, Alexander Cepeda ou encore Nairo Quintana. De retour en Europe, il a décroché son premier podium lors d'une course à étapes depuis bien longtemps. C'était au Gran Camiño, uniquement battu par l'intenable Jonas Vingegaard et la révélation Lenny Martinez. Cian Uijtdebroeks, 8ᵉ de la dernière Vuelta, ou encore David Gaudu, 9ᵉ du Tour 2023, pointaient derrière.
Ce n'est évidemment que le début de saison et les coureurs arborent tous des formes différentes. De plus, les épreuves auxquelles Bernal a participé ne sont pas les plus renommées du calendrier. Il convient donc de considérer avec précaution les premiers résultats du Colombien en 2024.
Paris-Nice, que le grimpeur d'Ineos Grenadiers a remporté en 2019, se tient cette semaine. La Course au Soleil - de niveau World Tour - est un rendez-vous que de nombreux professionnels ne manqueraient pour rien au monde. Les performances réalisées sur cette épreuve sont bien plus révélatrices. Et après les premières étapes, Egan Bernal semble dans le coup.
Dimanche dans les Yvelines, il accrochait des secondes de bonification en haut de la Côte de Montainville, au même titre que Matteo Jorgenson et Remco Evenepoel. Cinq kilomètres plus loin, il passait à l'offensive dans le final, dans la Côte d'Herbeville.
L'athlète de 27 ans a confirmé mercredi lors de l'étape de moyenne montagne conduisant les coureurs au Mont Brouilly (Beaujolais). Egan Bernal a tenu le groupe des favoris, alors que le profil - accidenté et typé pour les puncheurs - ne lui correspondait pas véritablement. Il préfère, comme tous ses compatriotes, les cols longs, ces ascensions interminables en haute altitude. Le parcours de Paris-Nice lui conviendra davantage ce week-end, puisque le peloton grimpera La Colmiane et ira à Auron.
Après de longs mois de souffrance, à l'hôpital puis sur son vélo, le rescapé Bernal retrouve enfin les premières places. Il faudra inévitablement compter sur lui à l'avenir. Car à 27 ans, sa carrière est loin d'être terminée. Et son cas n'est en rien comparable à celui de Chris Froome. Lui était âgé de 36 ans deux ans après sa terrible chute.