Tadej Pogacar a remporté dimanche le Tour d'Italie, alors qu'il y participait pour la toute première fois. Etincelant du premier au dernier jour, le coureur de la formation UAE Team Emirates a remporté six étapes et dominé tous ses adversaires au classement général. Il devance Daniel Felipe Martinez de 9'56'' et relègue le troisième, Geraint Thomas, à 10'24''. Des écarts abyssaux.
Tout Pogacar qu'il est, le double vainqueur du Tour de France reste toutefois loin de la performance du Zurichois Carlo Clerici. Lorsqu'il remporta le Tour d'Italie 1954, son dauphin - Hugo Koblet, un autre Suisse - était repoussé à 24 minutes et 16 secondes. C'est encore à ce jour la plus grande sensation de l'histoire du Giro.
Pourtant, la trajectoire de Carlo Clerici a été quelque peu mouvementée. Il vit d'abord en Italie avec sa grand-mère jusqu'à ses trois ans. Né d'un père italien et d'une mère suisse, il grandit ensuite dans le 4e arrondissement de Zurich. «Je livrais des fleurs sur mon vélo pendant mon temps libre», déclara-t-il un jour au Schweizer Illustrierte.
Dans le sillage des deux grands cyclistes helvétiques de l'époque, Ferdy Kübler et Hugo Koblet, il se tourne vers l'élite mondiale et accède au monde professionnel. Il ne possède alors qu'un passeport italien.
S'il court avec la croix blanche sur fond rouge l'année de son triomphe en 1954, c'est uniquement dû à ce qu'il s'est produit durant le Tour d'Italie précédent, et à une extraordinaire amitié.
Lors du Giro 1953, Koblet - premier étranger à avoir remporté le Tour d'Italie, c'était en 1950 - fait figure de favori. Mais ses équipiers ne lui sont pas d'une grande utilité pour lutter contre la star italienne: le dénommé Fausto Coppi. Clerici, qui a côtoyé Koblet dans le club de Zurich, roule à l'époque pour une équipe transalpine.
C'est à la suite de cet épisode que Clerici fait sa demande de passeport. Il l'obtient en avril 1954 et intégre dès lors l'équipe nationale, à la demande de Koblet.
Son heure de gloire vient quelques semaines plus tard. Nous sommes à la sixième étape du Giro, celle reliant Naples à L'Aquila. Koblet est favori mais laisse un bon de sortie à son ami. Clerici s'éloigne en compagnie de Nino Assirelli. Les Italiens, qui entourent les stars Coppi et Bartali, ne réagissent pas. Le duo s'éloigne. Koblet freine les ardeurs offensives des concurrents.
Lorsque le peloton franchit la ligne d'arrivée, Carlo Clerici est arrivé depuis 37 minutes. Il porte déjà le maillot rose. Temporairement, croient les tifosi. Mais Clerici se révèle plus coriace que prévu, et résiste même en montagne. Son ami Koblet lui rend la pareille. Il abandonne son rôle de leader pour se mettre à son service.
La victoire de Clerici au Giro 1954 reste sa plus belle. Deux ans plus tard, il chutera lourdement sur le Tour de France, se fracturera le bassin et souffrira d'une paralysie de la jambe droite. Il se retirera alors du monde du vélo pour devenir vendeur ambulant de cigarettes et d'alcool. Il fumera beaucoup et ne montera plus sur un vélo pendant 25 ans. Ce n'est que lorsqu'il pèsera plus de 80 kilos qu'il décidera de rouler à nouveau.
Quelques années avant sa mort en 2007, il parcourait encore 5000 kilomètres par an. Il s'est enthousiasmé pour le Giro devant sa télévision jusqu'à son dernier souffle, se remémorant ses exploits. «Je ne rate aucune étape. Je suis fiévreux, je souffre mais je triomphe chaque après-midi», confiait-il durant ses dernières années.