Elle intervient telle une conférencière dans de grandes entreprises, des écoles ou encore des clubs de cyclisme. Il lui arrive aussi de se présenter devant des Rotariens. Flurina Rigling a même prononcé un discours le jour de la fête nationale, et boucle son master en sciences politiques. Bref, son agenda est bien rempli.
Il n'y a donc rien d'étonnant à voir cette jeune femme de 27 ans se lever avant 5h30 tous les matins. Surtout que les occupations mentionnées ci-dessus ne constituent pas sa principale activité. Flurina Rigling est d'abord une athlète de haut niveau. Une cycliste qui s'entraîne jusqu'à 30 heures par semaine et parcourt plus de 14'000 kilomètres par an sur la route, sans compter les distances avalées sur la piste.
Rigling est actuellement l'une des athlètes helvétiques les plus titrées. Aux Mondiaux de cyclisme sur piste à Rio le mois dernier, elle a décroché pas moins de quatre médailles. L'or dans la discipline de l'omnium, l'argent en poursuite individuelle et au scratch, ainsi que le bronze sur l'épreuve du 500 mètres.
La Suissesse s'est également illustrée à Glasgow en 2023, remportant cinq médailles lors des Championnats du monde qui réunissaient toutes les disciplines du cyclisme, de la route à la piste, en passant par le VTT. Mais le meilleur pour elle est à venir, puisqu'elle participera à Paris à ses premiers Jeux paralympiques (du 28 août au 8 septembre), avant des Mondiaux attendus à domicile, du 21 au 29 septembre à Zurich.
Le plus étonnant dans toute cela, c'est que Rigling a réellement débuté le cyclisme il y a seulement cinq ans. Enfant, elle pratiquait certes des sports d'endurance, mais jouait surtout au floorball à l'école et passait du temps en montagne avec sa famille. «J'ai dû terminer de nombreuses randonnées pieds nus car mes pieds me faisaient mal», se souvient-elle.
La raison des douleurs subies? Une anomalie congénitale rare. Flurina Rigling n'a qu'un seul orteil à chaque pied et qu'un doigt à chaque main. C'est pourquoi elle rencontre des difficultés lorsqu'elle doit saisir des objets ou utiliser les muscles de ses mollets. Sur son vélo, elle ne peut que pousser fort sur les pédales. Impossible de tirer vers le haut.
Rigling ne pouvait pas jouer au piano ou ramer comme sa soeur durant sa tendre enfance. Au lieu de ça, elle jouait du Hackbrett d'Appenzell et vaquait à d'autres occupations.
La cycliste a grandi dans une ancienne ferme à Hedingen non loin du Lac de Zurich, entourée de lapins, de chats, d'un chien et d'un immense jardin. Elle y vit encore aujourd'hui, parce qu'elle aime cet endroit et doit gérer avec soin ses revenus.
Petite, Rigling a vite appris à devenir débrouillarde. Elle trouvait des astuces pour ouvrir les boîtes Ovomaltine et boutonner les chemisiers de ses poupées Barbie. «Si je voulais quelque chose, je devais m'entraîner, encore et toujours, jusqu'à ce que j'y parvienne», dit-elle dans un café de Seefeld à Zurich. Pour nous démontrer son habilité, elle saisit un stylo et signe sur une serviette en papier.
La Zurichoise nous dit que le cyclisme est une passion qui la comble pleinement. Elle apprécie aussi bien la vitesse que le calme et la tranquillité qu'offrent les sorties.
Lorsqu'elle était enfant, Rigling rêvait de mener un jour la vie d’une athlète professionnelle, sans trop y croire. Sa carrière dans le monde du paracyclisme s'est dessinée sur le tard. «Je ne me sentais pas à ma place» dans ce milieu, dit-elle sans vouloir porter de jugement, décrivant simplement son ressenti intérieur.
Il a fallu beaucoup de courage à la Zurichoise pour entrer en contact avec PluSport, l'organisme helvétique spécialisé dans le sport-handicap. Dany Hirs, entraîneur de paracylisme, a par la suite pris Rigling sous son aile, voyant son talent et sa détermination. C'est en 2020 qu'elle est devenue double championne de Suisse. Puis les titres ont suivi: d'abord l'or aux Championnats d'Europe en 2021, et le même métal aux Mondiaux en 2022, avec un record du monde de la poursuite individuelle à la clé. Ce n'est qu'après ce titre qu'elle a intégré l'ER de sportifs d'élite à Macolin.
Flurina Rigling agit avec professionnalisme dans ce qu'elle entreprend. Pour preuve, les nombreuses personnes qui l'entourent au quotidien: un médecin du sport, un préparateur physique, un mécanicien, un ingénieur aérodynamique, un biomécanicien, un physiothérapeute, un psychologue du sport et même un spécialiste de la nutrition.
La Zurichoise, qui organise ses journées comme elle l'entend, est soutenue par PluSport, des sponsors, des mécènes, Sporthilfe et l'armée suisse. Cela lui permet de couvrir les frais élevés liés au matériel, aux réglages techniques, mais aussi aux camps d'entraînement. A titre d'exemple, une paire de chaussures de course peut lui coûter jusqu'à 4'000 francs, car elle est confectionnée sur mesure par un orthopédiste et fabriquée à l'aide d'une imprimante 3D.
Son mécanicien, épaulé par deux ingénieurs de l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich, travaille minutieusement et continuellement pour lui adapter son guidon, lui offrir davantage de confort et de sécurité. La position sur le vélo est optimisée à l'aide de tests en soufflerie, comme pour les meilleures équipes du World Tour.
Lorsqu'elle aura terminé ses études, Rigling souhaite mener la vie d'athlète jusqu'en 2028, c'est-à-dire jusqu'aux Jeux Paralympiques de Los Angeles. Elle désire également apprendre l'espagnol, «de préférence lors d’un séjour longue durée, en Colombie ou en Espagne». En clair, la coureuse de 27 ans n'est pas à court d'idées et d'objectifs.
Mais il y a une raison bien précise pour laquelle elle donne des conférences chaque semaine ou presque. Le parasport, qu'elle refusait autrefois, lui a ouvert les yeux sur le monde.
Les athlètes qu'elle côtoie viennent souvent au parasport après de graves accidents. Des coups du sort, qui changent à jamais leur vie. Elle, en revanche, n'a rien connu d'autre. «Voir comment ces athlètes font face est extrêmement inspirant», déclare ainsi Rigling.
En tant qu'athlète de haut niveau, Rigling se trouve dans une situation privilégiée, et se sent obligée de travailler pour l'inclusion et l'intégration, dans le sport mais aussi la société de manière générale. «Je veux aider ceux qui se trouvent dans des situations similaires et leur montrer la voie», conclut celle qui est devenue ambassadrice du parasport en Suisse.