La Coupe du monde de cyclo-cross est-elle en danger? C'est en tout cas ce qu'estime Peter Van den Abeele, Directeur des Sports au sein de l'Union cycliste internationale (UCI). En novembre, dans les colonnes du média belge Sporza, ce dernier ne manquait pas d'épingler certains coureurs – ceux se détournant des manches de Coupe du monde.
L'ancien crossman réagissait aux impasses de Lars van der Haar, double champion d'Europe de cyclo-cross, prêt à perdre sa place de leader au classement général de la Coupe du monde, en ne se rendant ni à Val di Sole, ni à Dublin.
Il fustigeait aussi le choix de Thibau Nys, star montante de la discipline, qui consistait à opter pour une autre course, en lieu et place d'une manche de Coupe du monde.
Car dans les labourés, ce n'est pas comme en ski, où les coureurs ne s'expriment que sur le circuit de la Coupe du monde (et en Coupe d'Europe, là où évoluent les plus jeunes, les moins performants et les revenants). La Coupe du monde de cyclo-cross, aux mains de l'Union cycliste internationale, l'instance faîtière du cyclisme mondial, n'est pas le seul fil conducteur de la saison. Elle est challengée par d'autres circuits qui attirent les crossmen.
Si la Coupe du monde constitue officiellement la série la plus glorieuse du cyclo-cross, le Superprestige est l'un de ses plus sérieux concurrents. Né en 1982, il a pour lui l'histoire. Il dispose par exemple d'une étape à Overijse, le fameux Druivencross, qui existe depuis les années 60. Mathieu van der Poel a déjà remporté le classement final du Superprestige à quatre reprises, contre un seul général de la Coupe du monde – c'est dire son importance à ses yeux.
Le Trophée X2O, souvent décrit comme le troisième circuit par ordre d'importance, n'est pas en reste. Il s'ouvre chaque année par le Koppenbergcross, une course mythique en Belgique. La ligne d'arrivée y est placée en haut du Koppenberg, l'un des monts pavés les plus emblématiques du Tour des Flandres. Ce challenge inclut aussi le Flandriencross ou des manches à Herentals et Baal, sur les terres de Wout van Aert et de la légende Sven Nys, le père de Thibau. Ce qui change avec la Coupe du monde ou le Superprestige, c'est le classement général, établi selon les temps et non pas avec un système de points.
Sur le plan financier, les deux séries n'ont rien à envier à la Coupe du monde. Lever les bras lors d'une manche du Trophée X2O ou d'une course du Superprestige, c'est empocher 2'500 euros. Deux fois moins qu'une victoire en Coupe du monde, certes, mais les prix attribués aux vainqueurs des classements généraux en fin de saison sont sensiblement les mêmes. 30'000 euros pour la Coupe du monde et le Trophée X2O, 25'000 euros en ce qui concerne le gagnant du Superprestige.
A cela s’ajoute les Exact Cross, organisés par Golazo, la société qui détient le Tour de Belgique et le Tour du Benelux. Sept courses reconnues sur le territoire belge, à la seule différence qu'il n'y a pas de classement de régularité.
Cela fait longtemps que les trois principales stars du cyclo-cross ne focalisent plus leur saison sur les classements généraux. Et ceci vaut autant pour celui de la Coupe du monde que le Superprestige et le Trophée X2O.
Chaque hiver, Mathieu van der Poel, Wout van Aert et Tom Pidcock repoussent leurs débuts dans les labourés, et ce, afin de se régénérer après une saison longue et éprouvante sur la route. Ils ne visent qu’un seul et unique événement: les Mondiaux, traditionnellement organisés fin janvier / début février. Et lorsqu’ils se préparent en vue de cette grande fête du cyclo-cross, les trois compères choisissent leurs courses, sans se préoccuper des circuits auxquels elles appartiennent. Les dates priment, il s'agit de concocter un calendrier qui convienne aux besoins de l’athlète.
Les meilleurs coureurs ont néanmoins de bonnes raisons de privilégier une manche du Superprestige, du Trophée X2O ou des Exact Cross. Ils sont des hommes demandés, si bien que les organisateurs de ces épreuves dégainent le porte-monnaie pour les inciter à prendre le départ. Selon le Het Laatste Nieuws, Wout van Aert demanderait entre 15'000 et 20'000 euros pour chacune de ses sorties, quand Mathieu van der Poel et Tom Pidcock factureraient respectivement 15'000 et 8'000 euros. Appâter le trio peut donc coûter cher, mais c'est le gage d'une course réussie, qui attirera les foules.
Les étapes de Coupe du monde, elles, ne proposent pas de primes de départ. Du moins, en théorie. Après l'étrange venue de Mathieu van der Poel à Val di Sole la saison dernière, une course «exotique» organisée sur la neige, et qui n'a pas vraiment sa place dans le calendrier du Néerlandais, Flanders Classics, en charge du Tour des Flandres, des principales flandriennes, mais aussi de la Coupe du monde de cyclo-cross pour le compte de l'UCI, admettait que des accords financiers étaient conclus, non pas avec les athlètes, mais avec leurs équipes.
Si les principales stars n'en ont que faire de la Coupe du monde, censée être le nec plus ultra de la discipline, d'autres spécialistes du cross n'en font pas non plus un véritable objectif. Il faut dire que le format a évolué. On dénombre 14 courses en 2023/2024 contre 7 à 9 il y a encore quelques années, ce qui ne facilite pas la tâche des coureurs, dont les saisons sont déjà chargées.
La Coupe du monde se tourne également vers l'international. Alors que les circuits concurrents, eux, se focalisent sur les Flandres, de temps à autre les Pays-Bas, là où le cyclo-cross est roi et s'élève au rang de sport national – au même titre que le football. Les Belges et Néerlandais, qui dominent la discipline, sont parfois plus enclins à participer à ces épreuves locales, aux plateaux relevés, plutôt que de s'envoler pour Dublin ou l'Iowa.
Lars van der Haar est de ceux qui justifient les impasses en Coupe du monde par le fardeau du calendrier. La multitude de courses implique de faire des choix. Pour la Nederlandse Omroep Stichting, il confiait que par le passé, «on ne pensait pas à sauter une manche de Coupe du monde». Il est aujourd'hui obligé de le faire, afin de ne pas nuire au reste de sa saison. Thibau Nys, lui, est plus tranchant: «Je n’ai tout simplement pas en tête le classement de la Coupe du monde. Au final, vous choisissez course par course», déclarait-il chez nos confrères de VTM Nieuws.
Suite aux diverses impasses de ce début de saison, et à ces start lists parfois indignes de la Coupe du monde, le président de l'UCI, David Lappartient, s'est exprimé sur Direct Vélo. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que le dirigeant français s'est fait remarquer.
Le bannissement, une solution extrême pour remédier aux problèmes rencontrés, mais qui paraît néanmoins difficile à mettre en place, tant le cyclo-cross et l'instance ne peuvent se permettre de perdre Mathieu van der Poel et Wout van Aert, peu enclins à l'idée de courir toute la saison.
Heureusement, d'autres changements – plus réalistes – sont envisageables. Comme celui qui consisterait à regrouper les étapes de Coupe du monde sur un intervalle moindre, de décembre à janvier, pour impliquer davantage tous les crossmen. Il y a aussi les points UCI. Actuellement, remporter une manche de Coupe du monde revient à en obtenir 200. C’est bien plus qu’au Superprestige (classe 1 - 80 points au vainqueur) et au Trophée X2O (classe 2 - 40 points). Augmenter plus encore la différence est une solution, mais pas sûr qu’elle puisse résoudre le problème. Les cadors ne visent pas la place de n°1 mondial en fin de saison, en revanche, ils seraient plus handicapés sur les lignes de départ, étant avec moins de points, relégués au-delà des premières places.
Van den Abeele, Directeur des sports au sein de l'Union cyclisme internationale, veut en tout cas agir:
Ainsi, peut-être verrons-nous, à l'avenir, une Coupe du monde qui retrouve ses lettres de noblesse face à des circuits ancrés qui n'hésitent pas à la malmener.