Dans l'opinion publique, un sportif est rarement associé à l'intelligence. Il est réduit à sa stricte performance, à ses piètres interviews où il ne fait que réciter un tissu de banalités. Mais ces athlètes n'en doivent pas moins utiliser leur matière grise pour performer au plus haut niveau.
Aux Etats-Unis, cette réflexion est revenue lors de la dernière draft de la NFL. La grand-messe, pêche aux futurs talents, suivie par des armées de recruteurs, offre une exposition monstrueuse à de jeunes athlètes qui n'ont pas encore foulé la moindre pelouse de la National Football League.
C'est le cas de l'ancien quaterback de l'Université d'Ohio State, CJ Stroud. Le Californien de 21 ans a vécu une histoire étonnante dans le monde des casques, des anabolisants et des plaquages. La jeune pépite avait les faveurs de la cote pour être repêchée rapidement et figurer tout en haut du tableau. Mais c'était avant que le test «S2 Cognition» ne vienne jeter un trouble. CJ Stroud était incontestablement compétitif et athlétique, certes, mais le voilà taxé de sot: son taux de réussite au test n'a pas dépassé 18% (sur 100%), alors que l'autre star de la draft, Bryce Young, a obtenu un brillant score de 98%.
Rien de grave pour Stroud, qui n'hésite pas dire qu'il est seulement «un joueur de football» et ne prétend pas être un génie. Mais sur Twitter, les ragots vont vite et son intelligence est rapidement mise en doute. Or ce sont deux choses totalement différentes: comme le révèle le compte officiel du «S2 Cognition», l'analyse est plus pointue que la simple dichotomie entre bête ou intelligent.
Dans un match de foot US, comme dans le sport de très haut niveau en général, la gestion et l'acuité visuelle sont primordiales. La somme des facteurs à maîtriser est importante, d'où l'intelligence de jeu d'un grand champion; le temps y est réduit et instantané, la prise de décision doit être infiniment rapide dans le feu de l'action.
Dans le cas de CJ Stroud, il est question de tout ça et non d'une quelconque sottise qu'on lui prête sur les réseaux sociaux. EN NFL où le jeu est ultraconnecté, avec des joueurs équipés d'oreillettes pour communiquer avec les coachs, les quaterback sont les éléments centraux de l'échiquier tactique. Ils doivent avaler un livre volumineux à chaque intersaison, afin d'assimiler plus de 1000 séquences de passes et de courses que l'attaque pourrait utiliser au cours d'un match. Pour les recruteurs, où la moindre prise de décision pèse plusieurs millions de dollars, le hasard n'est pas une option tactique.
Si dans le football à deux pieds, comme nous le connaissons en Europe, ces tests n'existent pas, Wayne Rooney s'était longuement épanché sur l'intelligence de jeu, «le QI football» comme on l'appelle dans le jargon. Un match de foot lui paraissait physiquement éprouvant mais Rooney se sentait particulièrement épuisé mentalement à la fin d'une partie.
Pour un joueur, football traditionnel ou football américain, le traitement de l'information doit être si rapide qu'il développe des facultés que nous autres, le commun des mortels, n'avons pas intégrés. On parle d'un niveau de conscience au-dessus de la moyenne qui permet aux grands joueurs d'évoluer aisément dans un rythme infernal. C'est là que la différence se marque.
Après l'emballement médiatique outre atlantique, CJ Stroud a tout de même été repêché en deuxième position par la franchise des Houston Texans, malgré les réticences de plusieurs recruteurs. Il s'est permis de rappeler à ses détracteurs, dans un entretien à CBS, qu'il n'aurait pas pu «jouer à Ohio State sans être intelligent».
Stroud n'est pas un cas isolé. En 2012, Morris Claiborne avait vu ses propositions se faire rares lors de son tour de draft après une mésaventure semblable. L'actuel cornerback des Chiefs de Kansas City n'avait réussi qu'un 4 sur 50 au test Wonderlic. Huit ans plus tard, ces prétendues carences intellectuelles ne l'ont pas empêché de claquer un Superbowl et de devenir l'une des références à son poste.
Une illustration qui démontre que le test d'aptitudes n'est peut-être pas infaillible pour déceler un futur crack. A force de prévoir, contrôler, calculer, ne faut-il pas laisser la vérité du terrain éclater, sachant qu'un sportif de premier plan est capable d’apprendre et de s’adapter en permanence? Une qualité difficilement détectable en passant des batteries de tests.