«Une fois, il y a longtemps, j’avais dit à mes joueurs: "Vous jouez comme des pédés". Bien sûr, je ne dirais plus ça aujourd’hui.» On pardonne tout à Christian Constantin, le patron du FC Sion, surtout ses outrances rapportées comme à confesse. Les gens capables de parler service trois-pièces tout en citant le Seigneur, ça se bichonne comme un chrome d'Opel Manta le dimanche après la messe. On va revenir à Constantin.
L’homophobie dans et autour du football, donc. Iker Casillas, l’ancien gardien du Real et de La Selección, a mis le bras dans l’engrenage avec son coming-out qui n’en était pas un. Ça remonte au 9 octobre, un dimanche, comme quoi. Ce jour-là, l’Espagnol a tweeté: «J'espère que vous me respectez: je suis gay.» A 16h30, il démentait: «Compte piraté. Heureusement tout est en ordre. Mes excuses à tous mes followers. Et bien sûr à la communauté LGBT.» Dans l'intervalle, son ex-coéquipier Carles Pujol, en mode troisième mi-temps, en avait rajouté une couche, sur Twitter également: «C'est le moment de raconter notre histoire, Iker.»
Casillas se moquait-il des gays? Voulait-il au contraire apparaître libéral sur la question? Toujours est-il qu’il s’est fait couvrir de sarcasmes et d’insultes homophobes comme la plage de varech à marée montante.
Le 13 août dernier, après la défaite 4-1 de son équipe face à Saint-Gall, le gardien du FC Lucerne, Marius Müller, s’est cru à la fête au village en considérant que ses défenseurs avaient joué comme des «homos» («Schwule», en version originale). Marius Müller s’est excusé. Il a écopé d’un blâme et d’une amende de 2000 francs.
On s’en rend compte, le cœur du sujet est moins l’homophobie que l’homosexualité dans le football. L’homophobie, latente ou manifeste, étant ici une manière de cacher ce qu’on ne saurait voir, envisager ou éprouver. Comme si lutter ouvertement contre l’homophobie dans ce sport, c’était y convier l’homosexualité.
Contacté à ce propos suite à l’«affaire Casillas», ce cadre dans un club professionnel suisse, en charge des juniors (11 à 21 ans), dissimule mal son embarras. La dénonciation de l’homophobie n’est pas au programme chez les plus grands de ces juniors-là. Pour la raison que l’homosexualité y est taboue, comprend-on. Notre interlocuteur développe:
On connaît des associations LGBT qui bondiraient en entendant cela: le voisinage des mots «pédophilie» et «homosexuel», entre autres. Mais ce cadre ne pense sans doute pas à mal. Plus sûrement se sent-il au supplice, sollicité sur un sujet «casse gueule».
Il ajoute: «On n’a pas de manifestation déclarée d’homophobie au niveau du terrain, mais je ne peux pas me porter garant pour toutes les déclarations, notamment celles venant de spectateurs.»
Au Servette FC, pas plus l’homophobie que l’homosexualité ne font débat, assure Loïc Luscher, chef de presse des grenats:
Don’t ask, don’t tell, ne demandez pas, n’en parlez pas: la règle en vigueur dans l’armée américaine de 1994 à 2011, une avancée à l'époque, qui interdisait aux homosexuels et lesbiennes de déclarer leur orientation sexuelle durant leur passage sous les drapeaux, abrogée sous Barack Obama car jugée discriminatoire, semble être la norme dans le football comme dans d'autres sports d'équipe, le hockey sur glace par exemple.
Au FC Sion, il n’y a pas de charte, mais des «recommandations de tolérance», explique Christian Constantin. «Il s’agit de vivre et de laisser vivre», dit joliment le président du club valaisan entre deux saillies. «J’ai un petit-fils qui joue avec des Blacks. Aujourd’hui, tout est changé, le monde est mélangé, les conditions du racisme, celui dont on faisait preuve sans le savoir en achetant des têtes de nègre, avant qu’on dise têtes au choco, ont disparu dans la jeune génération», veut croire Constantin. Les conditions du racisme, soit. Mais celles de l’homophobie?