Voir une paire Ben Shelton-Arthur Fils, deux jeunes tennismen spectaculaires, ne pouvait que faire plaisir au public du Masters 1000 de Toronto. Le duo américano-français a assuré le divertissement en remportant deux matchs, s'offrant même la paire tête de série numéro 8 Hugo Nys/Edouard Roger-Vasselin (6-4, 7-5) en 8e de finale. Il a toutefois dû déclarer forfait en quart, à cause de douleurs au dos chez Fils.
Une scène cocasse a eu lieu lors de la victoire contre Nys et Roger-Vasselin, samedi. En début de partie, Shelton a réussi une volée-réflexe chanceuse, avec la balle qui est allée mourir de l'autre côté du filet et a surpris les adversaires.
Le jeune Américain s'est excusé auprès de ceux-ci avec un geste de la main et un regard empathique, comme le veut l'usage (même si ce n'est pas du tout obligatoire). Mais juste après leur avoir tourné le dos, Shelton a affiché un grand sourire en direction de son coéquipier et a célébré ce point – qui leur a offert le jeu – en serrant rageusement son poing.
Cette séquence est symptomatique de l'ambiguïté du comportement des joueurs et joueuses de tennis, ce sport qui en a rendu plus d'un gaga (pros comme amateurs) et qui oblige ses acteurs à passer par toutes les émotions. Parfois d'une seconde à l'autre, comme Shelton samedi, qui a switché de l'empathie pour ses adversaires (voire la gêne d'avoir eu une chance insolente) à la rage de vaincre.
En cela, le tennis est un sport singulier. Seuls peut-être les arts martiaux contraignent leurs pratiquants à pareille contorsion mentale à la fin d'un combat, eux qui passent tout de suite de la joie de la victoire à l'empathie pour l'adversaire (un signe de respect) au moment de saluer celui-ci.
Ils sont éthico-spirituels dans le cas des arts martiaux, tandis que ceux du tennis sont toujours très imprégnés de la bienséance de l'aristocratie anglaise du 19e siècle, où ce sport est né.
Mais le public, conservateur, ne tolère pas que ces véritables gladiateurs fassent ressortir leur côté bête féroce à chaque point, frappe ou geste, même s'ils ne veulent faire qu'une bouchée de celui qui est de l'autre côté du filet.
Alors il leur faut, parfois, rester des gentlemen et ladies. En apparence, du moins. Comme Shelton qui s'excuse de marquer un point, alors qu'à l'intérieur, il doit bouillir de satisfaction. Et ce sans pour autant que son empathie pour l'adversaire soit feinte (à force d'intérioriser les normes, on s'en convainc).
Les exemples du genre sont nombreux: demander pardon quand on marque un point après que la balle ait touché la bande du filet; ne pas célébrer sur une double faute de l'adversaire ou encore s'excuser avec douceur auprès du spectateur qu'on vient d'assommer avec un smash rageur (et souvent ponctué d'un gros «Come on!!!»).
Difficile de ne pas se noyer dans ce bouillon d'émotions contraires... Oui, cette petite voix intérieure qui intime sans cesse de se contrôler alors que les nerfs sont à vif rend gaga. Mais on entend souvent qu'il faut être un peu fou pour réussir en tennis, alors c'est sans doute vrai.