Trois jours après son non-match en Ligue des champions contre l'Inter (0-2), le Milan AC a aggravé son cas en perdant sur le même score contre le relégable La Spezia. Les Milanais accusent un retard de cinq points sur la dernière place qualificative pour la C1, à trois journées de la fin. Un an après la conquête du titre, les tifosis ne peuvent pas l'accepter.
Après la défaite, toute l'équipe - y compris l'entraîneur Stefano Pioli - a répondu à l'appel des ultras massés dans un virage. Toute l'équipe est restée sagement alignée devant quelques «capis» au crâne rasé, avec des airs d'enfants pris en faute. Toute l'équipe s'est sentie obligée d'écouter sinon des menaces, du moins des encouragements musclés. Toute une équipe devant un tribunal populaire. 👇
Les ultras du Milan AC, regroupés sous l'appellation Curva Sud, ont décidé de clarifier leur position dimanche en publiant un appel à la solidarité. Mais ce geste d'apaisement pourrait aussi être guidé par des motifs judiciaires: selon plusieurs médias italiens, le parquet de la Fédération de football a ouvert une enquête pour déterminer si les propos des ultras étaient une tentative d'intimidation ou un discours de motivation. En Italie, la loi sportive interdit les «piloris publics auxquels les joueurs se soumettent pour plaire aux franges les plus extrêmes de ses supporters».
Certes, les ultras ne ménagent pas leurs efforts pour faire scintiller leurs couleurs (tifo, fumigènes). Ils s'estiment en droit d'attendre le même investissement de «leurs» joueurs, de surcroît à salaires inégaux. Mardi dernier, en Ligue des champions, la Curva Sud a célébré ce moment historique par un tifo superbe qui a mobilisé une centaine de personnes pendant 21 nuits complètes.
Mais à force d'être beaucoup vus, et de plus en plus entendus, voire remboursés quand leur équipe est indigente (Tottenham après sa défaite 6-1 à Newcastle), certains supporters deviennent ivres de leur pouvoir et osent tout.
Ce fut particulièrement criant samedi à Newcastle où un homme d'une quarantaine d'années, fidèle supporter de Leeds, est descendu très simplement des tribunes pour insulter et bousculer l'entraîneur Eddie Howe. Dans le temps additionnel, alors que son équipe venait d'égaliser presque miraculeusement (2-2), cet individu a fait irruption sur la pelouse d'Elland Road en gesticulant, avant d'accrocher le bras du manager de Newcastle et de le bousculer à hauteur de poitrine. Leeds l'a suspendu à vie.
Il faudra réfléchir également aux raisons qui ont poussé Giovanni Sio, 34 ans, international ivoirien du FC Sion, à parlementer avec des supporters valaisans en colère après la défaite 5-0 contre Servette. Courtoisie? Démagogie? Un peu des deux? Toujours est-il que Sio a essuyé sans broncher ce qui, de loin, ressemblait à des invectives. Comme si la colère de ses vrais patrons n'avait pas suffi et qu'il fallait toujours répondre de ses défaites devant la vox populi.
Depuis quelques années, les initiatives sortent largement des limites du terrain. Avec toujours plus d’assurance, les ultras expriment leurs revendications jusqu’au domicile des joueurs et dirigeants dont ils exigent le départ (Neymar, Kita, etc) ou saccagent les centres d’entraînement dont les employés ne sont pas assez assidus à leurs yeux (Marseille, Nantes, etc). De nombreux fans semblent penser qu'ils détiennent un héritage - mais aussi le monopole de l'abnégation.
On ne peut pas exclure ici que certains aient attrapé la grosse tête... «A force de leur répéter que le club n’est rien sans eux, qu’ils en sont les vrais propriétaires moraux, ces mêmes clubs sont devenus otages de leurs supporters. La démagogie des dirigeants se retourne contre eux», nous avouait le directeur d'un club suisse dans cet article👇.
L'importance du mouvement ultra n'en est pas moins une réalité objective. Les supporters ont été les héros de la lutte contre la Super ligue européenne et contre les play-off en Suisse. Ils se posent en dernier rempart du prolétariat face à la gentrification du football moderne, celui des clubs satellites, des émirs et des fonds de pension américains, «un football coupé de son ancrage social et régional», comme l'a regretté le président de l’ASF Dominique Blanc lors d'un congrès de l’UEFA. Reste que, comme le rappelle souvent Christian Constantin: «C'est facile de dire "faut ceci", "faut cela", quand tu n'engages ni ton argent, ni ta responsabilité.» (chd avec les agences)