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Violences dans le football: les supporters ont-ils la grosse tête?

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Les supporters ont-ils attrapé la grosse tête?

Ils envahissent le terrain, descendent dans la rue, mettent le feu au centre d’entraînement. Héros de la lutte contre la Super ligue européenne, les fans sont-ils ivres de leur pouvoir? Ou tout bêtement excités?
27.08.2021, 09:2827.08.2021, 16:43
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On ne peut pas exclure que, d'une certaine façon, l’oeuf est devenu aussi gros que la poule: la puissance des supporters dans le football est proportionnelle à la place qu’occupe ce sport dans nos sociétés contemporaines, jusqu’au plus haut niveau des Etats - puisque même des présidents affichent leur soutien à l'OM.

Plus troublant est le fait que cette puissance s’exprime maintenant, après dix-huit mois de confinement, de manière aussi nette et délurée. Comme si la fermeture des stades avait favorisé ces débordements, «un couvercle qui pète», comme l’a expliqué doctement un émeutier niçois sur LCI.

Les émeutes de Nice en images

Crise de nerfs

Pour l’historien Thomas Busset, l’effet saisonnier est bien réel: «Il est frappant de constater que ces problèmes surviennent régulièrement en début de championnat, comme le signe d’une grande impatience», rapporte le collaborateur scientifique du CIES, auteur de plusieurs ouvrages sur le hooliganisme.

Et de citer une anecdote:

«Les supporters de Bâle et de YB ont décrété un boycott tant que les mesures anti-Covid n'étaient pas levées. Leurs résolutions n'ont pas tenu deux matches. Les ultras ont pris prétexte d’un assouplissement pour revenir au stade. Plus fondamentalement, cette longue période d’absence n’a changé ni les comportements, ni le fonctionnement des groupes organisés. Au contraire, elle n’a fait qu’augmenter leur excitation.»

Bestialité pure

On ne peut pas davantage exclure que cette violence ordinaire, âneries, vacheries et autres singeries, soit tout simplement bête, sans véritable origine sociologique. Des supporters de Feyenoord ont vandalisé la fontaine Barcaccia à Rome et toutes les recherches scientifiques du monde n'ont pas permis de comprendre la démarche, sauf à ne pas aimer l’eau ou en avoir très peur.

Bottles and beer cans float in the water as a flare is thrown by Feyenoord's fans in the fountain called "Barcaccia", made by Pietro Bernini and his son Gian Lorenzo in 1627, at the Spa ...
La fontaine Barcaccia après le passage des ultras. Image: AP
«Un jour, on a détruit un arrêt de bus et avec du recul, je serais incapable d’expliquer pourquoi»
Un ancien ultra du LHC

Peut-être est-ce notre erreur de sachants, notre frigidité de bien-pensants, de chercher obstinément des revendications là où il n’y a qu’une guérilla de bac à sable, armée de guenilles et de slogans de supérette, dont l’unique espoir est d’attirer l’attention, petit frisson de gloire pour couillon anar, à faire passer le jet de bouteille pour un mouvement de protestation et le glaviot pour un rejet de la société.

«Tous les ultras ne sont pas d'accord»

«Il faut savoir qu’au sein même de la mouvance ultra, des groupes se démarquent totalement de certains comportements, notamment racistes. En Suisse par exemple, certains virages pratiquent l’auto-contrôle. Je ne sais pas si les auteurs des cris de singe à l'encontre du gardien du FC Sion seront identifiés, mais à St-Gall, beaucoup de gens savent qui ils sont. Et si ces coupables ne seront vraisemblablement pas dénoncés à la police, selon le code des ultras, il y aura des sanctions internes.»
Thomas Busset

Abus de pouvoir

Sauf que désormais, les incivilités sortent largement des limites du terrain. Avec toujours plus d’assurance, l’ultra basique exprime ses doléances jusqu’au domicile des dirigeants dont il réclame la tête (Kita, Puel, Deschamps), envahit le terrain en faisant comme chez lui (GC, Nice), descend dans la rue (Bâle) et boute le feu au centre d’entraînement (Marseille) comme une annexion de l’espace public à son pré carré.

Le siège de l'OM pris d'assaut

On ne peut pas exclure ici que les supporters aient attrapé la grosse tête.

«A force de répéter que le club n’est rien sans eux, qu’ils en sont les vrais propriétaires moraux, ces mêmes clubs sont devenus otages de leurs supporters. La démagogie des dirigeants se retourne contre eux»
Un directeur de club suisse

Et néanmoins: «Ne voir dans les ultras qu’un pouvoir de nuisance revient à ignorer qu’ils sont surtout un contre-pouvoir, écrit le chroniqueur Jérôme Latta dans Le Monde. Le football a besoin de ses ultras pour assurer l’ambiance dans les stades, mais aussi comme force d’opposition.»

C’est une réalité objective, non moins contemporaine, que les supporters sont les héros de la lutte contre la Super ligue européenne, et qu’ils se posent en dernier rempart du prolétariat face à la gentrification du football, celui des affaires et des accointances, des nababs et des hedges funds, «coupé de son ancrage social et régional», selon la salve du président de l’ASF Dominique Blanc au congrès de l’UEFA.

epa09147749 Chelsea fans stage a demonstration against the European Super league before the English Premier League soccer match between Chelsea FC and Brighton & Hove Albion FC in London, Britain, ...
Manifestations anti-Super league à Chelsea.Image: EPA

Comme un acte de contrition (à moins que ce ne soit toujours de la démagogie), Chelsea a intégré un représentant des supporters au conseil d’administration. Jamais le mouvement ultra n’a obtenu autant de légitimité que dans sa défense des vieilles valeurs européennes, des valeurs d’unité et de tradition, vraiment. Mais comment interpréter ces mêmes actes lorsque, ailleurs, à d'autres moments, l’échelle de valeurs ressemble à un escabeau?

Le gouvernement ou l'opposition

«Il y a une attitude ambiguë des groupes de supporters qui, d’un côté, veulent être reconnus comme des acteurs du football, des intervenants à part entière, mais qui, d’un autre côté, maintiennent une grande distance avec les dirigeants et les médias, de peur d’être instrumentalisés ou de donner cette impression.»
Thomas Busset

Romantisme rustique

En amont de la mouvance ultra, il y a le hooliganisme lui-même, et l'idée vaguement rassurante que cette violence en apparence gratuite participe à de valeurs plus archaïques, la loyauté, l’affirmation de la virilité, la défense du territoire, avec un romantisme de cap et d’épée - et néanmoins des codes d’honneur très stricts et durs.

En Russie, les groupes de hooligans sont entraînés à cogner.
En Russie, les groupes de hooligans sont entraînés à cogner.
«Il existe une tendance chez certains supporters à se considérer comme les derniers garants des traditions anciennes, les derniers représentants des classes populaires, pour justifier des actes intolérables. Mais sans angélisme et sans vouloir défendre les virages, il y a aussi de nombreux ultras que ces actes débectent.»
Thomas Busset

Les plus bêtes sont généralement repérables à leurs instincts grégaires, sinon à leurs cris derrière les grillages, ces singes auxquels ils finissent par ressembler (eux).

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    Ce footballeur a eu un superbe geste de fair-play
    Très peu de joueurs, sans doute, auraient eu le même comportement que Pepê, attaquant du FC Porto, dimanche contre Estoril.

    C'est une très belle scène qui a eu lieu dimanche dans le championnat portugais, lors du match entre le FC Porto et Estoril (4-0). Son principal protagoniste? Pepê (à ne pas confondre avec le légendaire défenseur portugais Pepe, tout frais retraité).

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