C'est le déluge dans le parking du stade Bachir de Mohammedia. Trois mois qu'il n'avait pas plu à Casablanca et dans sa banlieue. Et même trois ans qu'on y avait pas vu un orage si violent, jurent les concierges qui s'affairent devant l'enceinte. Khalid Fouhami, lui, a attendu une petite accalmie pour sortir de sa VW touareg noire. De son prestigieux passé de gardien de la sélection marocaine, ce grand gaillard de 49 ans a apparemment gardé le sens de l'anticipation: il a prévu casquette et petite veste pour éviter de finir trempé. Il taquine d'emblée:
Malgré son sens de l'humour, Khalid Fouhami n'a rien d'un rigolo aux yeux des Marocains. Il aurait pu devenir un héros national si le Maroc avait battu la France en demi-finale du Mondial 2022. Et pour cause: il est l'homme qui a révélé et formé Yassine Bounou dit «Bono», le prodige qui fait des miracles dans la cage des Lions de l'Atlas. Ce jeudi, le portier s'est engagé avec Al-Hilal en Arabie saoudite, le même club qu'a rejoint Neymar plus tôt dans la semaine. Le Marocain, également courtisé par le Real Madrid et le Bayern Munich, aura passé quatre saisons au FC Séville, où il a remporté deux Europa League (2020 et 2023).
Même si elle date de plus de dix ans, Khalid Fouhami se souvient de leur première rencontre comme si c'était hier. Elle l'a fortement marqué. «Un jour, j'étais au centre de la fédération marocaine pour une formation et je vois un jeune homme seul sur un des terrains en train de travailler ses dégagements au pied de reprise de volée», rembobine l'ex-portier.
Curieux de voir à l'œuvre ce drôle d'hurluberlu, Fouhami assiste le lendemain à l'entraînement de la sélection U19. «J'ai été extrêmement impressionné!», raconte-t-il avec émotion et passion. «Yassine avait des qualités exceptionnelles, comme sa prise de balle et son explosivité, malgré sa grande taille».
Un véritable coup de cœur. Et par chance, Khalid Fouhami et Yassine Bounou évoluent au sein du même club, le Wydad Casablanca (WAC), le premier comme coach des gardiens et le second comme portier de la réserve. Fouhami prend sous son aile son ancien fan, va voir ses entraînements, le conseille. Jusqu'à l'accession de Bono en équipe première.
Il n'en sera rien, le prodige franchit le détroit de Gibraltar et signe à l'Atlético Madrid, «pour presque rien alors que le WAC aurait pu le vendre beaucoup plus cher plus tard s'il l'avait gardé», déplore encore aujourd'hui Khalid Fouhami.
Même s'ils ne sont plus sur le même continent, le longiligne ancien gardien et son protégé gardent un contact très étroit. D'abord, parce qu'une amitié les lie, ensuite parce que Fouhami a rejoint entre-temps la fédé, comme coach. «Avec Yassine, on a surtout travaillé l'aspect tactique, à savoir son placement, et son pied droit, qui était inexistant quand je l'ai connu», retrace l'ancien dernier rempart aux 33 sélections. Il se souvient d'une très agréable collaboration:
Pour Khalid Fouhami, pas de doute: si son ancien élève est là où il est aujourd'hui, c'est aussi en grande partie pour ses qualités humaines et sa personnalité. «Yassine a toujours été quelqu'un d'équilibré en dehors du football, soutenu par sa femme et sa famille», applaudit-il.
Fouhami avait vu juste dès le début quand il a été épaté par l'abnégation de ce jeune gardien sur le terrain d'entraînement de la fédé: Yassine Bounou est du genre acharné quand il a un objectif et est prêt à ronger son frein un sacré moment. «Il a broyé du pain noir dans plusieurs clubs en Espagne avant de devenir titulaire», image son ancien entraîneur.
Khalid Fouhami, devenu en 2014 coach des gardiens de la première équipe des Lions de l'Atlas, lui a donné un petit coup de pouce, en mettant la pression sur le sélectionneur de l'époque pour le convoquer. Puis le faire jouer de temps en temps. Finalement, Bono s'est imposé comme le numéro 1 après la Coupe du monde 2018, qu'il avait disputée comme doublure de Munir (au Qatar, les rôles sont inversés).
Le nouveau gardien d'Al-Hilal a illuminé ce Mondial avec ses arrêts, aussi décisifs que spectaculaires, et ses grands sourires. Rien de tout ça n'étonne son ex-mentor.
Il admettait ressentir avant cette demi-finale contre la France la fierté du devoir accompli. Celui d'avoir façonné le héros de la nation sur le terrain, mais aussi et surtout une belle personne. «Il est un ambassadeur pour le Maroc aux yeux du monde. Et j'aimerais que la société marocaine s'imprègne de ses valeurs. C'est un peu la même chose que vous, les Suisses, avec Federer», compare ce grand fan du Maître, qui a écrit à son ancien protégé pas plus tard que le matin de ce fameux match contre les Bleus pour lui souhaiter bonne chance.
Khalid Fouhami a certainement aussi pris son téléphone ce jeudi histoire de féliciter son ami pour son transfert à Al-Hilal, où il s'est engagé jusqu'en 2026.
Cet article est adapté d'une première version publiée le 14 décembre 2022 sur notre site.