Elles sont devenues une rareté. Logique, le football moderne exige le jeu court. Alors mardi, lorsque nous avons vu Megan Campbell, internationale irlandaise, enchaîner les touches longues en phase offensive contre l'Angleterre, il régnait comme un parfum de nostalgie.
Pourtant, ce n'est pas la façon la plus spectaculaire de jouer au football. Les amateurs de ballon rond ont d'ailleurs souvent eu les yeux qui saignent lorsque leur équipe multipliait les très longues remises en jeu en direction du but. Or à la vue du geste épuré de Campbell, on ne pouvait que regretter l'obsolescence programmée de cette situation.
La routine de la touche longue n'a pas changé. En tant que spécialiste, Megan Campbell la connaît avec exactitude. Face aux Anglaises, elle a d'abord demandé à ses coéquipières de monter, faisant signe d'avancer plus loin encore. Puis soudain, la préparation a ressemblé à celle d'une lanceuse de javelot.
Megan Campbell est-elle surhumaine? Evidemment que non. Elle maîtrise simplement un mouvement qui, au grand désarroi de certains, est assimilable à un geste technique. Elle connaît la science du transfert de vitesse.
Les touches longues de Campbell n'ont pas abouti mardi à un but. Les Irlandaises ont néanmoins eu le mérite de surprendre la défense anglaise. Les joueuses adverses ont semblé perdu sur la pelouse. Elles ne savaient pas comment agir sur cette phase arrêtée, se dégageant dans la précipitation à la limite du cafouillage. Le danger était réel. La sélectionneuse de l'Angleterre Sarina Wiegman l'a d'ailleurs reconnu.
Du haut de ses 2m01, l'Anglais Peter Crouch a reçu sur sa tête bon nombre de touches similaires durant sa carrière. Sa grande taille l'explique, mais aussi parce qu'il a côtoyé à Stoke City un spécialiste des lancers: Rory Delap. Ses touches longues et puissantes (parfois mesurées à 60 km/h) étaient craintes dans toute l'Angleterre. De nombreux buts ont été inscrits grâce à ses remises en jeu, sur des phases qui s'apparentaient à des corners «bonus». C'est ainsi que les Gunners ont souvent été piégés contre Stoke, malgré la trajectoire parfois prévisible des ogives.
Football fans, rejoice! On this slow day, let's bask in the glory of 97 seconds of #RoryDelap's legendary throw-ins. 🙌⚽️ #ThrowbackThursday #FootballNostalgia pic.twitter.com/VAykh5IsuA
— YouGotThis (@TrendyBytesio) April 10, 2024
Dans son podcast That Peter Crouch, «RoboCrouch» a toutefois reconnu que la réussite n'était pas toujours au rendez-vous. L'inefficacité. C'est avec le risque de la perte de balle la raison qui explique pourquoi les équipes sont si frileuses à envoyer les ballons au loin à l'aide des mains. Si l'on tenait tant à cette stratégie à Stoke, c'est surtout parce qu'elle déstabilisait l'adversaire. Des gardiens en venaient à botter en corner lorsqu'ils étaient mis sous pression, pour éviter de se confronter à une touche longue.
Peter Crouch a également précisé dans The Sun que chaque remise en jeu des Potters demandait à l'adversaire de redescendre: «C’est suffisamment chiant de devoir revenir sur un corner, mais quand c’est pareil sur toutes les touches… C’est pour ça que les équipes détestaient jouer contre Stoke City».
Il semblerait néanmoins que la touche longue ne soit pas si inefficace. C'est en tout cas ce que révèle une étude de The Athletic se concentrant sur quatre championnats: la Premier League, la Liga, la Championship et la MLS. Plus les touches obtenues dans le dernier quart de terrain adverse sont envoyées près de la ligne des 5m50, plus le xGD de la frappe survenue dans les 30 secondes est important. Il serait donc plus judicieux d'envoyer une ogive dans la surface plutôt que de jouer le long des lignes puis de centrer. Du moins si l'on cherche à marquer rapidement après la touche, sans trop construire.
Le fait est que de nombreuses équipes utilisent la touche longue uniquement lorsqu'elles sont menées et pressées par le temps. Dans ce cas, les lanceurs sont rarement de purs spécialistes et la précision manque parfois cruellement. Or lorsque l'on possède dans ses rangs un joueur capable de lancer loin, fort et précis, la touche longue - utilisée avec parcimonie pour surprendre l'adversaire - est une arme comme les autres, pour peu qu'il y ait de la taille dans la surface de réparation.
Le ballon doit également emprunter la bonne trajectoire. Celle-ci doit être directe, pas trop haute ni bombée, comme l'expliquait à l'agence Reuters le spécialiste Thomas Grønnemark, qui a notamment collaboré avec Liverpool. Cet entraîneur voit d'ailleurs d'autres possibilités avec ce type d'action. Atteindre la surface de réparation ne doit pas être un unique but. La loi 15 du football explique que le hors-jeu n'existe pas lors d'une rentrée de touche. Les remises en jeu longues en profondeur sont donc une autre clé.
Mal-aimée, la touche longue a toujours d'irréductibles adeptes, notamment en Angleterre, le pays du «kick and rush», là où elle est née. Brentford en Premier League a régulièrement usé de cette tactique ces dernières saisons. Avec Megan Campbell, ils préservent une stratégie qui fait la diversité du football, mais que certains préfèreraient voir disparaître. C'est le cas de l'English Football League qui, depuis cette saison, interdit aux joueurs de sécher le ballon à l'aide d'une serviette, afin de favoriser le jeu rapide.