Dans un monde idéal, la Nati profiterait pleinement, comme les citoyens suisses, de l'été indien avec ses douces températures et un soleil omniprésent. Elle fêterait, l'esprit libéré, le record de sélections de Granit Xhaka dimanche. Surtout, elle célébrerait déjà sa qualification pour l'Euro 2024 en Allemagne.
Mais la réalité de Murat Yakin et ses protégés est tout autre. Ils rencontrent des problèmes à tous les coins de stade. Et c'est comme ça depuis la claque 1-6 prise en 8e de finale de la Coupe du monde contre le Portugal en décembre dernier.
Oui, les soucis de la Nati sont profonds. Et il y a de bonnes raisons de penser qu'ils ne disparaîtront pas de sitôt. Au centre, on trouve Murat Yakin, le sélectionneur. Une question lui colle à la peau: à quel point est-il vraiment bon? Le Bâlois a succédé à Vladimir Petkovic en août 2021, a mené la Suisse au Mondial 2022 et y a atteint les huitièmes de finale.
Un CV somme toute honorable. Mais on ne saura jamais ce qui se serait passé si l'Italien Jorginho avait transformé au moins un de ses deux penalties contre la Nati lors des qualifications pour cette Coupe du monde.
Ce qu'on voit, par contre, c'est ce qui se passe quand la chance ne sourit pas à Murat Yakin. Par exemple, quand il se trompe dans sa composition et ses choix face au Portugal au Qatar. Ou quand la Suisse encaisse des buts en toute fin de match face à la Roumanie et le Kosovo (2-2 à chaque fois), qui lui coûtent la victoire. L'édifice helvétique semble alors soudainement fragile. Et c'est justement dans ces moments qu'on entend un nombre étonnamment élevé de voix critiques provenant du cœur même de la Nati.
Après ce Mondial au Qatar, on pouvait encore considérer ce 1-6 face aux Portugais et les remous qui ont suivi comme un accident industriel. C'est du moins ce qu'a tenté de faire l'Association suisse de football (ASF). Elle a vu des lacunes partout, sauf sur la pelouse et le banc. Ses solutions? Un nouveau cuisinier, un nouveau médecin et un nouveau préparateur physique.
Mais depuis ce mois de septembre et les critiques publiques de Granit Xhaka, Murat Yakin est dans le collimateur. A tel point que cette question s'impose: a-t-il vraiment un avenir en tant que sélectionneur de l'équipe nationale? Certains signes montrent que des joueurs clés de la Nati n'en sont pas persuadés. Et il ne s'agit pas seulement de Granit Xhaka.
Est-ce vraiment un hasard si le nom de Lucien Favre circule désormais dans les rangs de l'équipe comme possible successeur de Yakin? Bien sûr que non. La méticulosité, voire l'obsession du détail de Favre, s'est ancrée dans l'esprit de nombreux joueurs au fil des années. Certains d'entre eux voient sans doute le Vaudois, plutôt que Yakin, comme l'homme capable de les guider lors de l'Euro 2024 – peut-être la dernière grande danse de cette génération.
Lorsqu'il a été question de la succession de Petkovic, Favre (65 ans) s'est lui-même retiré de la course. Il venait de refuser une offre d'un club de Premier League (Crystal Palace) et ne voulait pas s'engager dans un nouveau mandat à long terme. S'il avait été disponible, l'ASF se serait peut-être décidée pour le Vaudois en août 2021 déjà. La situation est maintenant différente et l'ex-coach de Dortmund et Nice, entre autres, pourrait – comme Julian Nagelsmann en Allemagne – se voir confier le «projet Euro 2024».
L'homme qui doit régler la question du sélectionneur de la Nati s'appelle Pierluigi Tami. Mercredi, il a démenti que des discussions aient déjà eu lieu avec Lucien Favre. Mais ça ne veut rien dire: peut-être ne les a-t-il tout simplement pas menées lui-même. Le fait est que Tami va vivre des prochains jours compliqués, à se triturer l'esprit sur cette thématique. Pour l'instant, la donne est la suivante: si la Suisse se qualifie pour l'Euro, le contrat de Yakin sera valable jusqu'à la phase finale incluse.
Mais il faut un plan clair pour l'avenir avant même le tournoi. Pour pouvoir disputer celui-ci avec Yakin et en toute sérénité, l'ASF doit prolonger le contrat du Bâlois, de manière anticipée, jusqu'aux qualifications pour la Coupe du monde 2026 incluses. Si les dirigeants ne sont pas convaincus, il est plus judicieux de se séparer de Murat Yakin dès cet hiver, même si cette décision privait ce dernier de l'Euro.
Le match en Israël – prévu jeudi 12 octobre, mais annulé à cause de la guerre – aurait été le grand test pour le sélectionneur. Finalement, cette rencontre aura lieu en novembre.
Une chose est sûre: une qualification pour l'Euro – pour valider son ticket, la Suisse doit terminer première ou deuxième de son groupe – ne suffira pas à Murat Yakin pour prolonger son contrat. Il faut aussi que la manière soit convaincante et que les cadres soutiennent leur entraîneur. Enfin, il faudra la certitude que Yakin développe la Nati et la rende meilleure.
Adaptation en français: Yoann Graber