C'est le premier des problèmes, mais aussi le plus compliqué à résoudre. Parce qu'aucun joueur ne ressemble à Granit Xhaka, dans sa lecture du jeu et sa faculté à transpercer les lignes, et parce que Vladimir Petkovic a construit un groupe qui se nourrit de certitudes et qui en est soudain privé: le capitaine n'avait plus manqué un match depuis cinq ans.
Les Helvètes devront à la fois jouer sans lui et imaginer qu'ils n'en seront pas trop affectés. C'est un double défi, physique et mental, qui leur sera posé, et que Denis Zakaria essaiera de résoudre en partie. Le Genevois remplacera Xhaka, mais les responsabilités qu'assumait le néo-blond sur le terrain seront partagées entre plusieurs.
Par ses performances en retrait, sa faible influence sur le scénario des matches et son physique en délicatesse, Xherdan Shaqiri est devenu moins indispensable à la Suisse. Certains interrogeaient même sa présence sur le terrain face à l'Italie (0-3), et on ne peut pas dire que «XS», sorti sans briller à la 76e, les ait incités à réviser leurs jugements.
Il sera pourtant titulaire ce soir encore, portera les mêmes attentes encore, et ce n'est pas dit qu'il n'y réponde pas. Shaqiri est un joueur de fulgurances, de coups d'éclat, voire de génie. C'est le moment de frotter la lampe, de faire un voeu et d'y croire très fort.
Régis Brouard a emmené sa petite équipe de Quevilly (3e division) en finale de la Coupe de France 2012. On lui a demandé à partir de quel(s) moment(s) les joueurs se rendent compte que l'exploit est possible dans un match. Il en a cité deux.
La Suisse devra tenir, gagner du temps, puis exploiter les moindres ouvertures offertes par les Espagnols. C'est un jeu de patience et de conviction, dont la Nati a appris les règles face aux Bleus en 8e de finale, et auquel elle sait très bien jouer.
Pendant longtemps, on a cru que le football se jouait à onze contre onze et que c'était toujours la même équipe qui gagnait à la fin. Ce n'est plus très vrai depuis que les sélectionneurs peuvent opérer jusqu'à cinq changements (six avec les prolongations) et que les nations moins fortes sur le papier rivalisent sur le terrain. La victoire inattendue de la Suisse en 8es de finale est d'ailleurs autant celle des titulaires que des remplaçants: le passeur décisif sur le 3-2 est sorti du banc, le buteur du 3-3 aussi et quatre tireurs de pénalty sur cinq étaient en survêt' au coup d'envoi.
La Nati s'est qualifiée grâce à ses secondes lames et elle ne pourra pas faire autrement face à l'Espagne. C'est tout le défi du coach: garder sous pression ses remplaçants et les convaincre qu'ils auront un rôle à jouer, et que ce sera pour très bientôt.
La Suisse ne fait pas partie de ces équipes qui peuvent affirmer que si elles jouent comme elles savent le faire, elles passeront. Elle devra forcément trouver le moyen de faire déjouer son adversaire, de lui poser des problèmes.
Mais par où commencer? Gérard Castella croit savoir. «Quand elle n'a pas le ballon, soit un tiers du temps, l'Espagne devient vulnérable», observe l'ancien chef de la formation à YB et entraîneur de la Suisse M19 et M17 (notamment). Le technicien émet ainsi de «sérieuses réserves» sur la défense ibérique, au sein de laquelle l'ex-Français Aymeric Laporte et l'éternel néophyte Eric Garcia ne dégagent pas une grande sérénité.
C'est d'ailleurs parce que la France avait des problèmes en défense qu'elle a été punie tôt par la Suisse (15e). Cette ouverture du score précoce avait donné aux Helvètes de l'énergie et de la confiance, en langage sportif une rage de vaincre, que personne ne leur suspectait. Elle a aussi suggéré le début d'une histoire en commun, d'une quête impossible, peut-être d'une épopée grandiose, et la plus grande victoire de cette Nati, avant de défier l'Espagne, tient dans ce constat: les quarts de finale vont débuter et on ne connaît toujours pas la fin de cette histoire en commun.