«Le Mondial sans l’Italie, c’est comme Rome sans le Colisée», a imagé la légende du foot transalpin Francesco Totti avant cette Coupe du monde au Qatar. L'absence de la Squadra azzurra se fait en tout cas ressentir dans le pays, quadruple champion du monde et champion d'Europe en titre. «Les publicités, fan-zones ou écrans géants d'un Euro 2021 en partie disputé à domicile sont absents», témoigne un journaliste de Franceinfo dans son reportage à Rome.
Il évoque aussi «les sièges vacants devant de timides écrans» des bars et restaurants romains et donne les chiffres des audiences de la Rai, la TV nationale, pour les matchs: seulement six millions de téléspectateurs chaque soir en moyenne, alors que l'Italie compte 59 millions d'habitants. Soit beaucoup moins que quand l'équipe nationale joue (quinze millions de téléspectateurs pour son premier match au Mondial 2014, pourtant programmé à minuit).
Sans la Nazionale, l'enthousiasme des Italiens de Suisse romande pour la Coupe du monde est aussi durement affecté. «Les Italiens ici ne sont pas intéressés par ce tournoi», tranche d'entrée Carmelo Vaccaro, le président de la Société des associations italiennes de Genève.
L'ambiance était forcément très différente il y a 17 mois, quand la Squadra azzurra devenait championne d'Europe. Cette fois, la télé était allumée, comme à chaque fois que l'Italie participe à un grand tournoi. «Quand on diffuse les matchs, on organise des spaghetti», explique Carmelo Vaccaro. «Pour la finale de l'Euro, il y a même des politiciens genevois qui sont venus. On était entre 20 et 30 personnes.» A défaut de rassemblement pour encourager les siens, le président a regardé quelques matchs à la maison, dont ceux de la Suisse, son équipe de cœur par substitution.
La TV du Cercle italien de Lausanne reste aussi désespérément éteinte pendant ce Mondial. «Il n'y a pas beaucoup d'enthousiasme», relève le président du comité, Luciano Sonno. Comme son homologue genevois, il a regardé quelques parties chez lui et a soutenu la Suisse, «mon deuxième pays». Lui aussi évoque les précédents tournois avec nostalgie:
Malgré son spleen, Luciano Sonno tente de philosopher: «Cette non-qualification n'est peut-être pas si mauvaise. En écoutant les gens en Italie, on a l'impression qu'on est les champions du monde en tout. Ça fait du bien de redescendre parfois sur terre». Mais n'éprouve-t-il pas quand même un peu de rancœur quand il entend les fans des autres grosses nations du foot, par exemple le Portugal, klaxonner après les victoires? «Non, au contraire! Ça nous réveille un peu, parce que la Suisse est un peu trop tranquille», se marre-t-il.
Quelques kilomètres à l'ouest, Michele Scala ne se laisse pas non plus envahir par la frustration quand il pense à la Nazionale. «On a surtout regardé la Nati, même si elle a éliminé l'Italie. On n'est pas revanchard», sourit le président de la Colonia libera italiana di Losanna. Dans ses locaux de Renens (VD), les fans de foot peuvent suivre les matchs au Qatar. Mais là-aussi, on est très loin de l'ambiance des années glorieuses de la Squadra azzurra. «La TV est allumée, certains regardent avec plus ou moins d'attention et d'autres jouent aux cartes», remarque Michele Scala. Il enchaîne:
Et dans ces moments, ils peuvent faire passer leurs stress en dégustant des spaghetti et autres spécialités transalpines. «Mais cette année, il n'y en aura pas. Ni de fondue, d'ailleurs!», rigole le président. Peut-être du bacalhau et du feijoada?
Nati et Nazionale à la maison, Sergio Tarsi soutient désormais l'Argentine. Comme beaucoup d'Italiens. Comme lui, ils sont nombreux à avoir de la famille dans le pays de Lionel Messi. Le Broyard de 77 ans, natif de la région de Rimini et arrivé en Suisse il y a plus de 60 ans, a un peu suivi cette Coupe du monde depuis le Cercle italien de Payerne, dont il est une figure incontournable. Là-bas aussi, il y a moins de monde que d'habitude, et pas plus de spaghettis servis pendant les soirées de Coupe du monde qu'ailleurs. «On était une dizaine pour regarder les matchs de la Suisse. D'habitude, quand l'Italie joue, il y a trois générations qui viennent!», compare Sergio Tarsi, grand fan de l'AC Milan.
Maria Stelitano, elle, a le cœur qui bat pour le grand rival, l'Inter. Celle qui se décrit, en rigolant, comme «la porte-parole du comité» de la Colonia italiana de Sion explique que l'association, qui ouvre désormais son local sur réservation, n'a reçu aucune demande pour organiser des diffusions de match. «A l'époque, c'était animé, on faisait des pizzas et des pâtes pour 30 à 40 personnes, même quand c'était d'autres équipes que l'Italie», se souvient la Sédunoise. Mais elle l'assure, la flamme pour le foot est toujours bien présente chez ses compatriotes: «J'ai moi-même eu récemment des discussions sur cette Coupe du monde», sourit-elle.
Qu'ils aient ou non un œil sur le Qatar, tous les Italiens de Suisse romande se réjouissent de la même chose: revoir leur patrie d'origine dans un grand tournoi. Et notamment la Coupe du monde 2026, où la Squadra azzura tentera, si elle obtient son ticket, de gagner un premier match à élimination directe dans un Mondial depuis 2006. Soit une éternité, pour un pays où le sport roi l'est vraiment.