Pour les Suisses de moins de 40 ans, Heinz Hermann, c'est comme le monstre du loch Ness: tout le monde en a entendu parler, mais personne ne l'a jamais vu. Le Zurichois, qui a mis fin à sa carrière de footballeur en 1994, doit sa notoriété à une statistique folle. Un record, même. Il compte 118 sélections avec la Nati. Ce mercredi, cette marque sera battue par Granit Xhaka, qui fêtera contre Israël sa 119e cape.
Contrairement à «Nessie», qui semble vouloir rester terré dans les sombres eaux écossaises, Heinz Hermann a, lui, brillé de longues années dans la lumière des projecteurs des stades suisses. Et autant dire qu'il a tapé dans l'œil de ceux qui l'ont vu jouer.
D'abord grâce à sa dégaine. L'«ange blond», comme certains le surnommaient, était reconnaissable à sa longue tignasse claire et son gabarit élancé (182 cm). Mais c'est surtout balle au pied que le Zurichois a marqué les esprits. «C'est en grande partie grâce à lui que Neuchâtel Xamax est devenu champion en 1987 et 1988», pose d'entrée Jean-François Develey, ex-journaliste sportif au Matin et à la RTS. «Il avait beaucoup de facilité techniquement et était élégant», se souvient son ancien coéquipier à la Maladière, Robert Lüthi.
Oui, Heinz Hermann était un footballeur hors du commun en LNA (ex-Super League), où il a joué de 1977 à 1994. Alors que les postes étaient à cette époque déjà bien définis, ce milieu de terrain axial était au four et au moulin, décisif aussi bien défensivement qu'offensivement. «Il avait un petit côté "Tarzan"», rembobine avec le sourire Jean-François Develey.
Et même parfois de marquer, sans être pour autant un serial buteur (111 pions en 741 matchs pros). Malgré sa belle technique, n'imaginez pas qu'Heinz Hermann était du genre à dribbler six adversaires et planter un but d'anthologie à la Maradona. Non, sa spécialité, c'était de remonter le ballon pour amener le surnombre dans le camp adverse.
Son omniprésence sur le terrain pourrait nous faire croire à un don d'ubiquité. Pourtant, le futur ex-recordman de sélections n'avait rien de paranormal. Il était juste doté de qualités athlétiques exceptionnelles et ses gambettes en apparence frêles n'étaient même pas un problème. «A l'époque où les journalistes pouvaient encore aller dans les vestiaires pour les interviews, je l'ai vu à la sortie de la douche et j'ai pu constater que sa musculature était fine mais développée», recadre Jean-François Develey. Et notamment dans le haut du corps, ce qui rendait le Zurichois coriace dans les duels.
Cette excellente condition physique n'avait rien du miracle ou du hasard. «Il a toujours pris soin de son corps, c'était un pionnier avec le décrassage et la récupération», applaudit l'ancien journaliste.
A cette conscience professionnelle, il faut ajouter un sens de l'anticipation, qui explique lui aussi la longévité d'Hermann. «Il n'était jamais blessé, ce qui était assez fou étant donné qu'il mettait beaucoup d'engagement dans son jeu et que les joueurs étaient moins protégés par les arbitres à cette époque», souligne Eric Pédat, coéquipier à Servette durant deux ans (1990-92).
L'ex-gardien se souvient d'une discussion en particulier avec Heinz Hermann:
De quoi donc flairer les mauvais coups, au sens propre. En dehors du terrain aussi, le Zurichois a laissé l'image d'un mec intelligent, habile dans le relationnel. «Un très bon type, très sympa, passe-partout dans le bon sens du terme», résume Robert Lüthi. Tous nos interlocuteurs racontent un homme discret, mais qui ne se laissait pas marcher sur les pieds et savait taper le poing sur la table quand il le fallait. En d'autres termes: un leader réservé. «C'est parfois lui qui prenait l'initiative de discussions entre toute l'équipe quand ça ne tournait pas rond», confie Marco Schällibaum, son ami et compère à GC et Servette. Et même aussi pour des choses plus futiles, comme en témoigne Eric Pédat:
Mais pas de quoi en faire une diva capricieuse. Loin de là. En fait, Heinz Hermann – qui passait l'essentiel de son temps libre auprès de sa femme et leurs enfants – n'aspirait qu'à la tranquillité une fois hors du stade. «Il était tout l'opposé d'un people», observe Jean-François Develey. «On ramait pour obtenir une interview de lui. Certains joueurs font tout pour venir parler aux journalistes, histoire d'avoir leur nom dans les médias. Lui, il nous fuyait.»
Et apparemment, le bonhomme n'a pas changé, même à 65 piges. Récemment, il expliquait dans un mail adressé au Temps qu'il avait refusé toutes les demandes d'interviews quand Xhaka a égalé son record lors du match face à la Biélorussie.
Là encore, on peut faire une analogie entre sa personnalité et son comportement sur la pelouse. Si Hermann n'a pas peur de s'affirmer pour faire respecter ses envies, il s'imposait aussi durant les matchs. L'ange blond devenait même un petit diable. «Il n'hésitait pas à mettre une semelle de temps en temps. Il a plus mis de coups qu'il n'en a pris, mais il était suffisamment malin pour ne pas se faire attraper», sourit Jean-François Develey.
Robert Lüthi a un souvenir qui en dit long sur la rage de vaincre et l'aura de son ancien coéquipier à Xamax:
Heinz Hermann va donc perdre son record ce mercredi soir. Celui-ci date de 1991, année de la dernière cape du Zurichois. Qu'il l'ait détenu pendant 32 ans est un véritable exploit, sachant que les matchs internationaux se sont multipliés et que la Nati atteint désormais très régulièrement les phases finales des grands tournois, contrairement à son époque.
C'est sûr, Heinz Hermann restera une légende. Vivante, elle. Finalement, l'ange blond n'a pas grand chose d'un monstre imaginaire écossais.