La scène est grande. Peut-être encore un peu trop grande pour Ruben Vargas. C'est la première fois qu'il est choisi pour s'exprimer devant la presse sur l'état de la Nati à la veille d'un match. Ce choix est des plus logiques: le Lucernois de 25 ans est l'unique buteur suisse lors des deux dernières parties contre Israël (1-1) et le Kosovo (1-1) la semaine dernière.
Il a ainsi permis à notre équipe nationale de s'assurer un ticket pour l'Euro, en nous épargnant le frisson d'une finale contre la Roumanie ce mardi soir.
Dans cette salle de conférence de l'Arena Nationala à Bucarest, il trône à côté du sélectionneur Murat Yakin. Mais l'ailier reste modeste:
«Tout ça»? Vargas fait référence aux questions des journalistes sur les raisons de l'absence d'euphorie malgré la qualification et les jours comptés de Murat Yakin. Le buteur providentiel fait en tout cas de son mieux pour défendre son entraîneur:
Pour Ruben Vargas comme pour de nombreux autres joueurs de la Nati, ce stade de Bucarest rappelle de très bons souvenirs. C'est ici que la Suisse a battu la France en huitième de finale de l'Euro 2021, le 28 juin. «Beaucoup de choses ont refait surface sur le chemin du stade», s'enthousiasme le Lucernois.
Face aux Tricolores, il était entré en jeu après 79 minutes, quand la Suisse était encore menée 1-3. On connaît tous la suite, avec un exploit helvétique au bout. Et Vargas a été l'un des héros en transformant son tir au but.
En quarts contre l'Espagne, il est à nouveau entré en cours de partie. Mais cette fois, il a raté son essai lors de la séance fatidique. Les images de ses larmes et du réconfort de l'Espagnol Thiago Alcantara ont fait le tour du monde. La scène a aussi valu à Ruben Vargas un rôle important dans le livre pour enfants de la Nati publié en automne 2022. «Je sais aussi ce que c'est que de devoir surmonter un revers», avait-il déclaré lors de la présentation de l'œuvre.
Ruben Vargas a grandi près de Lucerne, à Adligenswil. C'est dans le club du village qu'il commence à jouer au football. Urs Gutzwiller, son premier entraîneur, s'en souvient:
Et pourtant, Gutzwiller n'est pas surpris que Vargas se soit imposé. Déjà junior, il était déterminé. Un exemple: «Les corners étaient généralement tirés par d'autres», rembobine le coach. «Mais à un moment donné, Ruben a pris le ballon et a exécuté le corner. Il a refait le coup juste après. Quand je lui ai demandé ce qui s'était passé, il m'a répondu fièrement: "Je me suis entraîné!"»
Plus tard, Vargas rejoindra le grand club du coin, le FC Lucerne. Mais par rapport à ses coéquipiers, le garçon reste petit et frêle. C'est un sujet qui le préoccupe toujours aujourd'hui. Et lorsqu'il n'est pas convoqué pour un tournoi, ses larmes coulent. A chaque fois que les responsables décident quels joueurs feront le saut dans la volée suivante, Vargas tremble. A 17 ans, il est transféré à Kriens pour un an. Là-bas, il connaît une poussée de croissance qui facilite beaucoup de choses.
Le jeune homme retourne alors au FC Lucerne, où il fait ses débuts dans la première équipe à 19 ans. Il commence par de premières apparitions sporadiques sous la houlette de Markus Babbel. Il devient ensuite titulaire au printemps 2018 avec Gerardo Seoane. Ce dernier, actuel coach de Gladbach, fait l'éloge de son ancien protégé:
On a tendance à oublier ce dernier point fort chez un joueur qui ne mesure «que» 177 cm. Seoane évoque également l'ancien «handicap» athlétique de Ruben Vargas: «Il a longtemps été un peu sous-développé et maigre, ce qui fait qu'il ne s'est peut-être pas toujours fait remarquer. Mais il a toujours été patient et aimait s'entraîner».
A 21 ans, deux ans après ses débuts en Super League au FC Lucerne, l'offre d'Augsbourg arrive. Le jeune Lucernois, attiré par la Bundesliga, signe. Sa première saison se passe bien. C'est à ce moment qu'il honore sa première sélection avec la Nati, le 8 septembre 2019 contre Gibraltar (4-0). Mais plus Vargas reste à Augsbourg, plus l'impression qu'il stagne se renforce. Il en est déjà à sa cinquième saison dans le club bavarois. Il ne serait pas opposé à un changement, mais cet été encore, aucune offre ne l'a séduit.
Il s'agit maintenant pour Ruben Vargas de se débarrasser enfin de l'image qui lui colle toujours un peu à la peau: celle d'un artiste dont le jeu manque d'efficacité.
Selon toute vraisemblance, il disputera et fêtera ce mardi soir contre la Roumanie sa 40e cape avec l'équipe de Suisse. Avec ses deux buts de la semaine dernière, il en est désormais à sept. Une chose est frappante chez l'attaquant lucernois depuis un certain temps déjà: porter le maillot de la Nati semble lui donner des ailes, pas le freiner. Un gros contraste avec certains de ses coéquipiers ces derniers jours.
Et si elle se poursuit à Bucarest, sa série de buts a de quoi lui faire franchir un nouveau pallier.
Adaptation en français: Yoann Graber