L'engouement autour des handballeurs helvétiques est grand depuis le match nul 26-26 de la Suisse, dimanche contre la France, championne olympique en titre. Dès la fin de la partie, tout le monde n'avait d'yeux que pour Lukas Laube. Et pour cause, le pivot suisse s'est montré étincelant, marquant à neuf reprises, malmenant la défense française de la première à la soixantième minute. Mais depuis le début de la compétition, la vedette côté suisse se nomme Manuel Zehnder. En Allemagne, là où se tient cet Euro, les journalistes sont d'ailleurs nombreux à s'intéresser à lui.
Il faut dire que l'Argovien évolue le reste du temps en Bundesliga, le championnat allemand, réputé pour être le plus compétitif. Et il performe. Sous ses nouvelles couleurs du ThSV Eisenach, il totalise déjà 148 buts en 19 matchs. Il est même en tête du classement des buteurs de Bundesliga, devant la star danoise Mathias Gidsel.
Si Manuel Zehnder est tant convoité par la presse allemande, ce n'est pas uniquement pour ses prestations en club. Il y a une autre explication: le fait qu'il détienne la double nationalité. Sa mère Doris est allemande, sa grand-mère vit toujours dans l'Allgäu. Et lorsqu'en 2021, Zehnder jouait encore au HSC Suhr Aarau, son club formateur, il ne cachait pas son désir de rejoindre les rangs allemands.
A l'époque, ses propos avaient été tenus alors qu'il venait de faire ses grands débuts en équipe nationale de Suisse. C'était lors d'un tournoi quadrangulaire en Tunisie, qu'il avait éclaboussé de son talent. Mais il ne s'agissait que de rencontres amicales, et Zehnder n'était pas officiellement lié à la Suisse.
Quelques mois plus tard, le demi-centre était transféré en Allemagne, au HC Erlangen. Au début, il jouait peu - son entraîneur misait davantage sur les joueurs confirmés. Mais son talent lui a très vite permis de devenir titulaire, si bien qu'Alfred Gislason, le sélectionneur de l'équipe d'Allemagne, a souhaité échanger avec lui. Ce dernier lui a ainsi annoncé que la concurrence était forte, mais qu'il aurait sans doute un jour sa chance. Trop tard, puisqu'entre temps, Manuel Zehnder avait définitivement opté pour la Suisse.
Comment en est-il arrivé à cette décision? Manuel Zehnder l'a ainsi expliqué dans le podcast Erste 7: «La confiance était nettement plus grande en Suisse, et c'est logique. D'une certaine manière, cela semblait être la meilleure solution», confiait-il. Sa mère est allemande, et oui, sa grand-mère vit toujours en Allemagne. Mais comme Zehnder le dit lui-même: «Mon père habite depuis 60 ans au même endroit en Suisse, et je me suis tout simplement senti plus Suisse». Autrement dit: il a d'abord dû s'expatrier en Allemagne pour réaliser à quel point il était attaché à son pays.
Manuel Zehnder tient à la famille. Son porte-bonheur n'est autre qu'un tatouage de ses proches. Cela explique pourquoi il a si longuement échangé avec ses parents avant de prendre sa décision. Son père plaidait plutôt pour une nationalité sportive helvétique, sa mère, elle, restait neutre. Puis, elle a senti que son fils était davantage attiré par la Suisse, et elle lui a fait savoir.
En Allemagne, ce choix reste difficile à comprendre. Mardi, la ZDF titrait: «Zehnder, l'homme que la DHB a contacté trop tard». Il règne aujourd'hui une certaine incompréhension outre-Rhin. Comment n'a-t-on pas réussi à enrôler l'Argovien en équipe d'Allemagne?
Quand Alfred Gislason, le sélectionneur de l'équipe d'Allemagne, est interrogé sur Manuel Zehnder, il s'extasie immédiatement.
Une telle comparaison, ce n'est pas rien. Surtout lorsque l'on sait qu'Andy Schmid a été élu cinq fois joueur le plus précieux du championnat allemand. Mais Zehnder, qui pourrait être son successeur, ne veut pas en entendre parler. Lui souhaite se faire son propre nom. Le joueur est ainsi fait. La preuve, lorsqu'il rêvait de l'équipe d'Allemagne, sa déclaration suscitait des commentaires négatifs. Pourtant, Zehnder n'y accordait aucune importance.
Le Suisse ne se contente pas de marquer des buts. Il ne veut pas non plus être un simple joueur. Lui souhaite devenir le meilleur. Avec ses méthodes, quel que soit le chemin emprunté.
Même s'il a pris de la masse musculaire depuis son départ du HSC Suhr Aarau, Manuel Zehnder n'a rien perdu de sa vitesse et de son agilité. En Bundesliga, il pose de sérieux problèmes à ses adversaires, grâce à ses feintes dévastatrices et à ses pas actifs en direction du but. L'Argovien fait la différence, un peu comme Andy Schmid, mais à sa manière. Il va encore un peu plus loin, et semble surtout surmonter les revers comme s'ils n'existaient pas.
Pour la sélection suisse de Michael Suter, Zehnder est une véritable bénédiction. L'entraîneur est conscient des qualités exceptionnelles du joueur, et désormais, il sait aussi comment utiliser son poulain. Il y a un an, lors d'un temps mort demandé à la Yellow Cup, le coach faisait savoir à son demi-centre qu'il devait jouer plus lentement, plus calmement. Mais ce style ne convient pas à Manuel Zehnder. Pour briller, il ne doit pas être tenu en laisse. Le jeu doit être un plaisir, quitte à faire des erreurs. Et ça, Suter l'a finalement bien compris.
Manuel Zehnder est une pépite, et même si tous les regards étaient tournés vers Lukas Laube dimanche après l'exploit contre la France, il porte lui aussi haut les couleurs de la Suisse, au grand dam des Allemands.
Adaptation en français: Romuald Cachod.