Les play-offs. Leur intensité physique et leurs émotions. Mais ce que le grand public connaît moins – et c'est normal parce que ce n'est pas forcément visible ni audible dans les tribunes et encore moins derrière la TV –, ce sont les petites astuces pour faire sortir l'adversaire de son match. Les petites provocations. Et le trash-talking en fait partie.
Comme son nom l'indique, cette pratique est issue de la culture nord-américaine. Son concept? Provoquer et chambrer verbalement les joueurs de l'autre équipe. Et le hockey suisse n'est pas en reste. «J’ai beaucoup pratiqué le trash-talking et en ai également été souvent la cible», rembobine Chris Rivera (36 ans), ancien attaquant de Genève-Servette et Fribourg-Gottéron. Mais en fait, ça va jusqu'où, la provocation verbale sur la glace? «Je suis allé très loin», avoue le retraité, désormais coach du CP Meyrin en deuxième ligue.
La forme la plus primaire du trash-talking, ce sont les insultes. Mais il peut revêtir des variantes plus subtiles. Comme des moqueries. «Quand un joueur adverse ratait complètement un tir, je lui disais par exemple: "Joli tir, Cindy!"», se rappelle Chris Rivera. Ou alors des menaces, histoire d'intimider l'adversaire et prendre l'avantage psychologique. «Pendant un match de Ligue des champions en 2016 à Munich, j'ai fait exprès d'aller cross-checker le gardien et je lui ai dit: "La prochaine fois, je te casse le nez!"», rejoue l'ex-attaquant des Aigles et des Dragons.
Parce que oui, le trash-talking a une finalité. Il ne s'agit pas seulement de provoquer pour provoquer. L'objectif ultime, le Graal, c'est de faire péter les plombs à l'adversaire. De le faire sortir de son match, au figuré (le déconcentrer du jeu) et, mieux encore, au propre (qu'il prenne une pénalité à cause d'une réaction).
Et à ce petit jeu, certains sont des cibles plus faciles que d'autres. «Avec DiDomenico, c'est facile, tu peux le faire sortir en deux secondes!», rigole Adrien Lauper.
Contrairement à Chris Rivera, le Fribourgeois – qui a joué cette saison en Swiss League avec les Ticino Rockets puis le début des play-offs avec La Chaux-de-Fonds – ne se considère pas comme un grand adepte du trash-talking. «Je suis plutôt du genre trop gentil.» Mais il avoue quand même s'y être essayé. «On se cherchait souvent avec Philippe Furrer», se souvient Adrien Lauper. Son truc à lui?
Si certains hockeyeurs craquent facilement, d'autres sont, au contraire, totalement hermétiques au trash-talking, à en croire le Fribourgeois. «J'avais essayé avec Roman Cervenka, mais il n'avait eu aucune réaction», rembobine celui qui a aussi porté le maillot d'Ambri.
Adrien Lauper confie qu'il y a un hockeyeur en Suisse avec lequel il n'aurait jamais osé pratiquer le trash-talking. Son nom? Andres Ambühl. «J'ai trop de respect pour lui, je n'ai même jamais osé le checker», explique l'attaquant des Ticino Rockets. Chris Rivera confirme: l'artiste davosien (39 ans), légende du hockey helvétique, n'est pas du tout un bon client pour la provoc' verbale. «Avec ce genre d'adversaires, il vaut mieux jouer plus dur physiquement ou mettre des petits coups pour tenter de leur faire perdre les pédales», conseille le Genevois.
Ce dernier regrette le politiquement correct de plus en plus prôné et présent dans le hockey sur glace, notamment en Suisse. «Aujourd'hui, on peut prendre des pénalités pour du trash-talking, pourtant ça fait partie du jeu!», s'agace-t-il.
Chris Rivera déplore par exemple le procès médiatique et sur les réseaux sociaux qui a été récemment fait à l'entraîneur des Zurich Lions, Marc Crawford, coupable d'avoir, sous le coup de la colère, insulté l'arbitre lors d'un match contre Bienne le mois dernier de «cocksucker» (en français: «suceur de bite»).
Pour ce débordement, le coach zurichois a écopé d'un match de suspension et de 3000 francs d'amende. «La ligue est de moins en moins permissive depuis une dizaine d'années en matière de langage sur la glace», observe Gary Sheehan. L'ex-coach du LHC, de La Chaux-de-Fonds et d'Ajoie, entre autres, avoue lui aussi avoir taquiné verbalement quelques adversaires dont les oreilles se rapprochaient trop de son banc.
Le hockey sur glace, le sport en général, est connecté à la société et l'évolution de ses normes. Ce qui était toléré il y a 20 ans ne l'est plus forcément aujourd'hui, et ça concerne aussi le langage. «Les dirigeants du hockey prônent désormais un savoir-vivre dans le vestiaire», constate Gary Sheehan.
«Et maintenant, les hockeyeurs ont aussi peur de se faire lyncher sur les réseaux sociaux, où tout est décortiqué et jugé, si leurs paroles sont enregistrées. Alors, ils osent moins se lâcher», ajoute Chris Rivera.
Les hockeyeurs sont donc prévenus: cette année, les victoires se joueront plutôt sur des exploits crosse en main que grâce à des punchlines. Et pour les spectateurs nostalgiques des joutes verbales, il reste les matchs d'impro, où les arbitres, eux aussi zébrés, sont plus permissifs envers les langues taquines.