La différence entre une très bonne et une grande équipe tient souvent à une pincée de talent. Par exemple Kevin Fiala. Le Saint-Gallois a été lundi le héros d'une belle histoire hollywoodienne.
Dans l'ordre: il devient père pour la première fois à Los Angeles, s'envole pour Prague, arrive à 13h30, est accueilli par sa grand-mère à l'aéroport et le soir, le binational tchéco-suisse joue justement un grand match contre la République tchèque.
Avec un but (le 1-0) et un penalty transformé, l'attaquant de 27 ans a mené la Suisse à la victoire (2-1 après les tirs au but). Ce match contre les Tchèques était le premier gros test pour cette équipe de Suisse, la meilleure dans un Mondial au 21e siècle. Le duel initial contre la Norvège (5-2) n'était qu'un échauffement. Ensuite, celui face à l'Autriche (6-5), un exercice de concentration. Les rencontres contre des équipes comme la Norvège et l'Autriche (ou mercredi face à la Grande-Bretagne, dès 20h20) ont désormais quelque chose de folklorique pour la Nati.
Mais pour atteindre les demi-finales, il est impératif de battre les Norvégiens et Autrichiens dans la phase de groupes. La manière n'a pas d'importance. Il peut s'agir d'un devoir ennuyeux à accomplir (comme contre la Norvège) ou d'un scénario haletant au divertissement maximal (comme face à l'Autriche).
Les Suisses savent par expérience amère que des victoires contre un grand lors du tour préliminaire ne signifient pas grand-chose: lors des deux derniers Championnats du monde, ils ont gagné 13 des 14 matchs de la phase de poules et ont pourtant échoué les deux fois en quart de finale.
En fait, seul un match du tour préliminaire contre un grand pays hôte constitue un véritable test. A plus forte raison lorsque l'adversaire s'appelle la République tchèque et qu'il joue à Prague dans une arène pleine à craquer. Cette victoire 2-1 après les tirs au but est la plus belle, en phase de groupes, de l'ère Patrick Fischer. Celle-ci a commencé au Mondial 2016 à Moscou.
Un regard vers le passé montre également la valeur d'une victoire à Prague. Lors des championnats du monde de 1972, dans la ville tchèque, les Suisses avaient été fessés deux fois par la Tchécoslovaquie (19-1 et 12-2). Désormais, ces deux sélections s'affrontent à armes égales et leurs matchs comptent parmi les plus tactiques et les plus intenses.
Avant le succès de lundi, la dernière victoire helvète à Prague remontait à plus de 80 ans: un chiche 1-0 le 9 décembre 1938.
L'optimisme après le 6-5 de dimanche contre l'Autriche était justifié.
La «tempête défensive» de Zoug, soit le trio Fabrice Herzog, Sven Senteler et Dario Simion, n'a pas encaissé de but face aux meilleurs attaquants tchèques. Les coups ont été rendus par des coups et les provocations par la sérénité. Les Suisses ne se sont pas laissés intimider ni bousculer par un adversaire rugueux. Ils ont cette nouvelle confiance en eux, qui s'est peu à peu développée durant l'ère Fischer.
Mais surtout, la Nati n'a jamais eu autant de talent, aussi bien en défense qu'en attaque, dans un Mondial au 21e siècle.
En défense, Roman Josi a joué un rôle différent contre la République tchèque que la veille face aux Autrichiens. Contre nos voisins, il était le dynamiteur du jeu offensif, patinant vers l'avant et hors de sa zone. Le Bernois a été à l'origine de quatre des six buts. Mais contre les Tchèques, il s'est mué en véritable chef de la défense.
De la même manière qu'il repère et exploite les espaces dans la défense adverse, il voit également les lacunes dans sa propre défense et les comble. Face à la République tchèque, le capitaine suisse a été ce que l'on appelle un «défenseur défensif». Intelligent, discipliné, droit, efficace.
Et toujours prêt pour un rush offensif. L'action que Kevin Fiala couronne d'un superbe tir, en powerplay, pour le 1-0 (14e) est aussi l'œuvre de Roman Josi. Josi derrière, Josi devant, Josi partout. Véritable ministre de la défense, il est aussi l'ingénieur en chef du jeu suisse.
L'attaque ne manque pas non plus de talent. Un exemple? Kevin Fiala a ouvert le score dans un angle fermé, sans que personne ne puisse le retenir. Le gardien tchèque Lukas Dostal, estampillé NHL (Anaheim), attendait une passe transversale, alors il a laissé un petit espace dans sa cage. Impardonnable: Kevin Fiala, en Guillaume Tell du hockey, a adressé un tir d'une précision redoutable. Un goal digne d'Hollywood. Sur le cube vidéo, on a même brièvement vu la légende tchèque Jaromir Jagr hocher la tête en signe d'approbation dans sa loge.
Le talent de Roman Josi et de Kevin Fiala peut faire d'une très bonne équipe une grande équipe de Championnat du monde, taillée pour les demi-finales. Il reste maintenant quatre matchs en phase de groupes (Grande-Bretagne, Danemark, Canada et Finlande) pour peaufiner les détails et trancher quant au choix du gardien qui défendra la cage suisse en quart de finale.
PS: Les grands joueurs de hockey sont des durs à cuire, et Nico Hischier en fait partie. Tombé juste devant le but adverse, le Valaisan a été touché au visage par la lame de patin d'Ondrej Kase. Il a dû rentrer aux vestiaires à la 57e minute pour se faire recoudre et... est revenu sur la glace, prêt pour l'engagement quelques secondes avant la fin du temps réglementaire. Ce sens du sacrifice, cette dureté envers soi-même font également partie de la recette pour aller en demi-finale.
Adaptation en français: Yoann Graber