La Suisse parviendra-t-elle pour la première fois à franchir deux fois de suite le cap des quarts de finale lors d’un Mondial?
Après la défaite inaugurale contre les champions du monde tchèques (4-5 après prolongation), les Helvètes ont battu le Danemark 5-2. Ils sont en bonne voie dans ce Mondial disputé à Herning, au Danemark. Mais cette équipe a-t-elle les moyens d’atteindre les demi-finales, voire la finale? Le sélectionneur national Patrick Fischer dresse un premier bilan après deux rencontres, soit six tiers-temps et une prolongation:
Sa principale critique? Le jeu doit être plus direct.
En scrutant attentivement, on peut effectivement repérer des lacunes dans le jeu suisse. Mais elles tiennent davantage à l’imprévisibilité propre à ce sport qu’à des insuffisances tactiques, techniques ou d’un autre ordre. La Suisse fait désormais partie des titans du hockey mondial et peut intégrer, dès la première phase du tournoi, des millionnaires de la NHL en renforts incontournables. Il faut néanmoins trois à quatre matchs pour trouver la composition idéale et peaufiner les réglages.
Pour une première évaluation, le score affiché au tableau n’est pas l’unique vérité. Plus révélatrice est la manière dont l’équipe se comporte. Cette image d’ensemble se compose de scènes individuelles, que les caméras ne captent pas toujours, et qui ne font pas forcément l’objet de ralentis spectaculaires.
Deux séquences du match contre le Danemark (5-2) en disent long sur l’état d’esprit de l’équipe. D’abord, Sven Andrighetto ne parvient pas à contrôler le palet sur la ligne bleue en supériorité numérique. Oscar Moelgaard en profite, file seul et trompe Stéphane Charlin pour égaliser à 1-1. Cette inattention signifie-t-elle que les Suisses, pourtant favoris, n’étaient pas pleinement concentrés? Que le jeu de puissance ne fonctionne pas? Ou cela trahit-il une attitude désinvolte? Non.
Ce n’est pas cette action qui symbolise la prestation des Suisses face à un outsider survolté par son public et bien préparé tactiquement. Mais plutôt une scène de la fin du match, impliquant de nouveau Andrighetto.
Résumé: l’attaquant des ZSC Lions, fraîchement champion de Suisse, revient défendre, est touché au visage par une crosse dans sa propre zone. Sa canne se casse dans la foulée. Il ne se laisse pas démonter, reçoit une nouvelle crosse du banc, retourne dans la mêlée, bloque un tir et aide son équipe à préserver l’avantage (le score est alors de 4-2).
L’un des joueurs les plus brillants en attaque n’hésite pas à se sacrifier en défense. Cela illustre bien l’état d’esprit de cette équipe. L’erreur de concentration ayant mené au 1-1 n’est pas ce qui la définit.
Il peut subsister des insuffisances techniques. Mais l’attitude est la bonne. C’est la condition essentielle pour progresser au fil des cinq matchs de groupe restants (le premier ce lundi contre les Etats-Unis, à 16h20), et arriver prêt pour les quarts de finale.
Interrogé sur cette séquence de fin de match, Andrighetto déclare l’avoir fait de bon cœur pour aider l’équipe. Comme tout le monde l’aurait fait. C’est l’une des qualités de Patrick Fischer: savoir souder un groupe de fortes individualités en une «bande soudée». Chacun laisse son ego à la porte du vestiaire.
Tout semble presque parfait. Mais une question reste sans réponse. Elle doit être posée encore, encore et encore. Un peu comme dans la Rome antique, lorsque le sénateur Caton concluait inlassablement chacune de ses interventions – quel qu’en soit le sujet – par la même phrase: « … au reste, je suis d’avis qu’il faut détruire Carthage.» Il le fit avec une telle insistance que l’expression fut immortalisée plus de mille ans plus tard jusque dans les bandes dessinées d’Astérix. La chute de Carthage fut décisive pour l’ascension de Rome au rang de puissance mondiale.
De même, savoir si la Suisse peut aller au-delà des quarts de finale, voire atteindre la finale, dépend avant tout du gardien. D’où cette remarque martelée avec insistance concernant le dernier rempart: « … au reste, le journaliste est d’avis qu’il nous faut le prochain Genoni.»
Le match contre le Danemark a été la première apparition de Stéphane Charlin (24 ans) sur la grande scène du Mondial. L’homme à qui l’on prête la succession de Leonardo Genoni. Une tâche difficile: les Suisses ont largement dominé (35 tirs à 15). Ce qui signifie peu de travail, mais un besoin constant de concentration. Les deux buts encaissés (qui ont temporairement donné l’avantage 2-1 aux Danois) étaient imparables. En fin de match, Charlin et les Suisses tiennent bon. Le Genevois est-il donc le nouveau Leonardo Genoni?
Cette question reste en suspens. Elle devra être reposée. Ce serait une cruauté suprême des dieux du hockey que de ne pas nous livrer de réponse au cours de ce Mondial. Car Leonardo Genoni n’a plus la forme argentée de 2018 ou 2024, et Stéphane Charlin n’a pas encore celle d’un médaillé d’argent.
Hormis cette énigme persistante du gardien, cette équipe suisse a, sur le plan du jeu, de la tactique et de l’attitude, un profil de vice-championne du monde. Au moins.
Adaptation en français: Yoann Graber