Les messages ont défilé sur le groupe WhatsApp de la rédac' des sports, les premières moqueries ont fusé au moment de voir le géant piqueté sur ce long serpent blanc dans l'Oberland bernois. Mais les images de l'ancien pro Marc Berthod en caméra embarquée ont surpris à bien des égards.
Let’s rock! #Adelboden #fisalpine #Chuenisbärgli #Odermatt 🇨🇭 pic.twitter.com/McOxbNXuOH
— Michael (@mz_storymakers) January 7, 2023
Pour de nombreux skieurs et surtout les suiveurs, la crainte de voir un spectacle semblable à Garmisch-Partenkirchen trotte dans les esprits: un slalom transformé en piste de bobsleigh après les passages des concurrents. Le skieur britannique Dave Ryding qualifiait la neige allemande, enfin de ce qu'il en restait, «de porridge, de bouillie d'avoine». Des images de fin de saison au bord de la piste, où même l'apéro en t-shirt était de mise. Triste pour un 7 janvier, triste de voir un hiver qui peine à percer.
Si la course en Bavière a frôlé la mascarade, les organisateurs helvétiques de la mythique Chuenigsbärgli ont réussi l'impensable: mettre en place une piste digne d'une Coupe du monde dans des conditions très, très délicates. Le travail d'orfèvre des «magiciens» bernois peut être qualifié de prouesse, voire de miracle. Christian Haueter, directeur général des courses d’Adelboden, peut être fier de ses équipes.
Reto Däpp, le digne héritier du désormais retraité Hans Pieren, a repris un mélange de sel qui a sauvé les meubles de nombreuses compétitions. La formule magique? «Pour limiter la fonte des neiges malgré ces températures exceptionnelles, nous avons versé environ 500 kilos de sel sur la piste de course», révélait Pieren dans les colonnes du Blick alémanique. Du mélange de sel traditionnel donc, comme recette miracle pour pouvoir apprécier le bras de fer des meilleurs techniciens mondiaux.
La preuve en est: Léo Anguenot s'est qualifié avec le dossard 61 sur le premier tracé, à l'instar d'Hannes Zingerle avec le 58. Le 4 janvier dernier, pour un skieur, réussir à accrocher la qualif' à Garmisch au-delà du dossard 50 relevait de l'exploit. Outre Steen Olsen (dossard 45), ils n'ont été qu'une minorité à réussir à se qualifier avec un numéro plus haut que le 30.
Les conditions étaient réunies pour ouvrir grand l'arène bernoise. Les critiques sur la tenue des épreuves ont été incessantes et la carte postale bien tristounette proposée par les pâturages de l'Oberland bernois en a dégoûté plus d'un. Mais face au tapis blanc déroulé, dompté magistralement par Marco Odermatt, les 25 000 personnes (guichets fermés) massées sur les bords et dans les tribunes ont crié «Odi», «Gino», «Loïc», brandi les drapeaux à croix blanche durant ces glorieuses joutes annuelles du plus beau géant de la saison.
Anesthésié par la fête, réjoui par l'ambiance d'un chaudron surchauffé par les athlètes de Swiss-ski, le public n'a pas hésité à commenter sur les réseaux sociaux la beauté proposée par ces artistes équilibristes. Tel un bouillonnement de climatosceptiques (qui s'ignorent?), les «Quel grand moment» ou «Un travail remarquable des organisateurs», ont jailli des claviers d'une majorité d'internautes. D'autres criaient, à raison, à l'hérésie climatique d'une course qui s'est déroulée sur un fil de neige artificiel qu'on jugeait désolant à l'occasion des Jeux olympiques de Pékin.
C’est sur, ça vend vraiment du rêve d’avoir réussi à ce point à faire artificiellement ce que la nature ne nous a pas donné. La clim’ fonctionnait aussi «au top» au Qatar, quel travail remarquable des organisateurs 🙃
— Julien Wicky (@JulienWicky) January 7, 2023
«Panem et circenses», comme disait l’autre. 😶🌫️
Or, dans la Mecque du ski alpin, il fallait bien faire tourner la machine à fric. Les organisateurs se sont démenés pour tenir le calendrier soutenu de la FIS. Et eux, il pouvaient afficher leur plus grand sourire après ces épreuves du week-end. Et à raison. Si Odermatt trustait les gros titres, ce sont eux les grands gagnants du week-end, assurant avec le peu d'or blanc cette langue de neige faite d'eau et de sel pour un show qui n'a fait râler aucun acteur.
Malgré les rails, les quelques trous, qui n'avaient rien d'insurmontables, et un parcours qui a légèrement «cassé» lors du slalom dominical, les géantistes ont été servis; les slalomeurs ont pu tailler des courbes de bien meilleure qualité qu'à Garmisch.
Le week-end bernois s'est avéré être une réussite populaire et organisationnelle, un coup de maître, spécialement après le gymkhana bavarois. Le comité d'organisation a réussi à faire taire les plus sceptiques pour la mise en place des courses. Malheureusement, il leur est impossible de calmer le brouhaha d'une foule déchaînée et chagrinée par les folies d'un sport qui va à l'encontre des bons gestes climatiques.
Alors l'opium du peuple a opéré ce week-end des 7 et 8 janvier 2023. Avant que, les prochaines années, cette course contre la montre ne revienne faire les Unes de la presse? La FIS va devoir se pencher sur le déroulement de ces épreuves à plus ou moins basse altitude – rappelons que l'arrivée culmine à 1300m. A force d'exploits et de travaux d'Hercule, Christian Haueter et Reto Däpp rendent l'impossible possible, comme des Jeux asiatiques d'hiver en 2029... en Arabie saoudite.