Gerard Piqué trouve que le foot est ennuyeux et qu'il faut absolument le révolutionner. C'est ce qu'a laissé entendre le Catalan ce dimanche dans une interview pour le Sunday Times. Extraits:
En évoquant l'ennui de la «nouvelle génération», dont les aptitudes de concentration seraient insuffisantes pour suivre un match de foot en entier, l'ex-joueur du FC Barcelone ne fait que réchauffer un argument qu'on gobe à toutes les sauces depuis des mois.
Avant lui, les présidents du Real Madrid et de la Juventus, Florentino Pérez et Andrea Agnelli, entre autres, nous l'ont servi. Mais de quels jeunes parlent-ils? Piqué a vu ses «enfants regarder un match de football, et après dix minutes, ils étaient sur leurs téléphones, leurs tablettes, en train de s'intéresser à autre chose». Pareil pour Agnelli. Soit. Mais la progéniture de ces deux messieurs n'est pas représentative de l'ensemble des jeunes, notion très vague au passage.
Le 25 février dernier au Wankdorf, j'étais assis à côté d'un pré-ado de 12 ou 13 ans et je peux vous assurer qu'il n'a pas raté une miette de ce Young Boys-Servette.
Et quid des gymnasiens/lycéens ou universitaires, toujours plus nombreux en Suisse? N'ont-ils pas la capacité de se concentrer sur un cours ou des révisions pendant 90 minutes? Oui, beaucoup l'ont. Et on imagine volontiers que regarder un match de foot, même en entier, leur est moins pénible que transpirer sur le théorème de Pythagore ou les dates clés de la Guerre froide.
Et même: si cette «nouvelle génération» était vraiment inapte à rester attentive 90 minutes derrière sa TV ou au stade, on n'a pas à sacrifier le football pour tendre vers la médiocrité. Comme le dit si bien Piqué, ce sport «a une énorme histoire» et est «très traditionnel». Or, justement, l'histoire et la tradition, ça se respecte.
Son argumentaire révolutionnaire nous laisse penser que l'ex de Shakira se fiche éperdument de l'histoire du football et de sa place symbolique dans nos sociétés. Il n'avance que des arguments commerciaux pour légitimer le besoin de changer le football. Derrière ses préoccupations de raccourcissement des matchs ou du nombre de buts marqués, il n'y a qu'une seule et unique aspiration: vendre un produit catchy, qui attire l'œil avant les autres divertissements sur le marché (un principe marketing théorisé sous l'appellation «économie de l'attention»). Le Catalan ne s'en cache pas. «Le football est en compétition avec Netflix, Amazon, YouTube, TikTok», appuie-t-il dans le Sunday Times.
On peut s'étonner de l'étroitesse d'esprit de Piqué qui, en tant qu'ancien joueur, a forcément ressenti la communion entre les fans et leur équipe et a vu les émulations sociales que le football crée aux quatre coins du monde, au-delà de l'argent. On peut aussi imaginer qu'il était bien content quand les spectateurs restaient au stade pour l'encourager, lui et son équipe, alors que le score était de 0-0.
Mais c'est un fait: Gerard Piqué, qui a pris sa retraite en 2022, est aujourd'hui avant tout un homme d'affaires. Avec sa société Kosmos, il a totalement refondu la Coupe Davis en tennis (pour le pire, d'ailleurs) et a lancé l'année passée la Kings League, un championnat alternatif de football aux règles fantaisistes. Difficile, donc, de ne pas voir un intérêt économique personnel dans ses propos.
L'ex-international espagnol semble, en tout cas, avoir très rapidement oublié l'ambiance des stades. «Les clubs vont payer des fans pour se déplacer, parce que l'expérience à la maison, dans ton pyjama, avec des biscuits dans le canapé (avec des lunettes de réalité virtuelle) est encore meilleure qu'aller au stade», avance-t-il. C'est vrai, la technologie offrira et offre déjà une manière divertissante et agréable de vivre les matchs.
Ces frissons quand tout le public chante, ces odeurs de hot-dog et frites, ces rencontres, ces souvenirs plein la tête... Tous ceux qui ont connu ce genre de moments ont envie de les revivre, même avec des matchs de 90 minutes (tant mieux, ça rallonge même le plaisir) et même quand la qualité de jeu est moyenne.
On a, finalement, de quoi être abasourdi par le souhait de Gerard Piqué d'éradiquer les «0-0» ou les «matchs nuls». A-t-il oublié quel grand défenseur il a été et à quel point la défense est un art en football? On pense aux formidables parades des gardiens. Aux sauvetages ou tacles des arrières, sans parler de leur sens du placement et de la roublardise de certains. Oui, l'axe central de l'Italie Chiellini-Bonucci lors de l'Euro 2021, par exemple, était un régal à voir jouer à lui tout seul.
Bref, Gerard Piqué a dit beaucoup de bêtises dans cette interview, et on espère que les dirigeants du football seront davantage clairvoyants.