Quand on a allumé la TV dimanche à 21h30, on s'est d'abord demandé si Netflix avait changé à la dernière minute l'affiche de son «Netflix Slam». Une surimpression en guise d'avertissement «Classé 7+ langage grossier» est apparue en haut à gauche de l'écran. Benoît Paire et Nick Kyrgios, réputés pour leurs coups de sang et leur vocabulaire fleuri, ont-ils remplacé au pied levé les bien plus sages Rafael Nadal et Carlos Alcaraz?
The moment Carlos Alcaraz won #TheNetflixSlam pic.twitter.com/AKJnnRv3AY
— Netflix (@netflix) March 3, 2024
Non, ce sont bel et bien les deux Espagnols qui ont pénétré en véritables rockstars sur le court de la Michelob ULTRA Arena de Las Vegas. En fait, cette surimpression inadéquate restera l'un des deux seuls petits couacs de cet événement inédit. Le second? La vidéo qui ne s'est pas lancée sur l'écran géant de la salle quand Nadal a challengé un service d'Alcaraz.
Cette quasi absence de problèmes techniques prouve une chose: en matière de diffusion de sport en direct, Netflix sait y faire! Si la firme californienne s'est spécialisée dans les documentaires sportifs sur les coulisses, elle pourra se targuer d'avoir assuré une excellente production pour son premier match de tennis en live. La qualité de l'image? Impeccable. Les plans de caméra? Parfaits, on avait l'impression de suivre un match de Grand Chelem. Avec, en plus, une petite mention à la séquence filmée à hauteur de court – qui rend bien compte de la vitesse et des trajectoires de la balle – et celle du tirage au sort, où l'on a apprécié le côté immersif grâce au micro de l'arbitre.
Les commentaires sur le plateau et pendant le match? Très pertinents, notamment grâce à l'expertise des deux ex-champions Andy Roddick et Andre Agassi.
Si ce don du mimétisme rend hommage aux qualités de production de Netflix, il souligne aussi le manque d'originalité de la plateforme. Pour ce match exhibition insolite, on aurait souhaité quelques nouveautés. Au niveau de la manière de filmer, par exemple. Les plus audacieux imaginaient peut-être des caméras sur les joueurs ou la balle. Et pourquoi pas des micros sur les deux tennismen, ne serait-ce que pour entendre leur souffle et leurs marmonnements pendant ou entre les échanges, histoire d'amener le téléspectateur au plus près de l'action?
Match Point down, Rafa comes ALIVE!
— Tennis TV (@TennisTV) March 3, 2024
🥶 @netflix @RafaelNadal #NetflixSlam
pic.twitter.com/36A5yTWpm2
Même sur les détails, Netflix n'a pris aucun risque. On pensait par exemple voir des balles rouges ou blanches, les couleurs de la firme, qui auraient été tout à fait visibles sur la surface gris foncé (bon choix, au passage). Rien. Du jaune, point barre. Autant dire qu'on était très loin d'un court plongé dans l'obscurité avec des balles et lignes fluorescentes...
Alors que le tennis, comme beaucoup d'autres disciplines, est décrié par certains pour son manque de divertissement à cause de matchs trop longs, la plateforme américaine n'a rien proposé d'innovant au niveau des règles (contrairement au circuit UTS de Patrick Mouratoglou). Les idées ne manquent pourtant pas: l'abandon du second service, l'autorisation du let sur le premier, des points où il faut uniquement frapper en slice ou jouer de sa mauvaise main, le droit au coaching, des cartes joker qui obligent l'adversaire à faire tel ou tel coup, etc.
Résultat: cette rencontre, remportée par Alcaraz au super-tiebreak après une manche partout, a duré deux heures. Trop long pour un tel match, où les deux tennismen étaient très loin de leur meilleur niveau et n'ont pas su amuser la galerie par des frasques (surtout Nadal, dont le professionnalisme est toujours aussi remarquable mais pas vraiment adapté à des rencontres exhibition).
Sur ses rares tentatives de se démarquer, Netflix n'a pas été téméraire ni réaliste. Il y a bien eu des interviews de célébrités et de l'entraîneur d'Alcaraz (Juan Carlos Ferrero) entre les jeux, mais un Nelson Monfort des grands jours en fait tout autant à Roland-Garros depuis des années. Quant aux interviews des deux tennismen en plein match sur leur banc, on apprécie l'idée, mais elle est tout simplement irréalisable lors d'une partie à enjeu, où les joueurs profitent de ces moments pour se concentrer.
Bref, Netflix s'est montré terriblement classique. Une autre preuve? La présence de juges de ligne, pourtant voués à disparaître dès l'année prochaine. En même temps, difficile de lui reprocher son conservatisme: la plateforme n'a jamais promis d'offrir une expérience complètement différente du traditionnel circuit ATP.
Mais si elle veut conquérir un nouveau public avec des diffusions de sport en direct, elle devra se montrer davantage créative.