Kamila Valieva, faut-il le rappeler âgée de 15 ans, a résisté vaillamment à l'énorme pression médiatique qui pesait sur ses frêles épaules. Mais la corde a fini par céder: la jeune russe a craqué sur la dernière ligne droite, privée de médaille après un programme libre raté.
La polémique politico-diplomatique n'a cessé d'enfler. Après son contrôle positif en décembre dernier à la trimétazidine, Valieva a encaissé et patiné. Mais c'est avant tout le Comité International Olympique (CIO) qui essuie l'ire du monde sportif.
La substance qui est au centre des débats est cette satanée trimétazidine. Le professeur Thierry Buclin, spécialiste en pharmacologie au CHUV, nous explique que la trimétazidine «aide à faire face au stress cardio-vasculaire, mais il n'y a pas d'évidence que ce soit un produit réellement utile». «Nous pouvons évoquer la trinitrine, qui dilate les artères coronaires et qui était présente dans le cyclisme, ou dans le foot, dont l'action est un peu semblable à la trimétazidine.» En clair, la trimétazidine est un facilitateur de stress intense.
Une polémique qui a pris une nouvelle tournure quand Sha'Carri Richardson, la spécialiste du 100m mise à l'écart après un contrôle positif au cannabis avant les Jeux de Tokyo, s'est insurgée sur les réseaux sociaux du prétendu racisme dont fait preuve le Comité International Olympique (CIO).
Can we get a solid answer on the difference of her situation and mines? My mother died and I can’t run and was also favored to place top 3. The only difference I see is I’m a black young lady. https://t.co/JtUfmp3F8L
— Sha’Carri Richardson (@itskerrii) February 14, 2022
A vue de nez, on serait tenté de dire qu'elle n'a pas tort de s'interroger sur une inégalité de traitement. Mais comme nous le confirme le Laboratoire Suisse du dopage (LAD), le véritable problème est liée à la période de prise du produit et de sa détection dans l'organisme. Une hypothèse confirmée. Mark Adams, le porte-parole du CIO, a rappelé que Sha'Carri Richardson avait été pincée «bien avant les Jeux olympiques et les résultats avaient été connus suffisamment en amont pour que l’USADA (ndlr: l'agence antidopage américaine) puisse s’emparer avant les JO.» Point barre. Ce qui n'était pas le cas pour Valieva, dont le résultat du test n'est parvenu aux autorités compétentes qu'après le début des JO.
Mais pourquoi la patineuse russe a-t-elle pu tout de même poursuivre la compétition? Valieva profite d'un statut d'athlète protégée pour son âge. Une catégorie introduite début 2021 par l'agence mondiale antidopage (AMA) qui englobe les sportifs de moins de 16 ans, avec trois conséquences: une sanction disciplinaire contre elle peut rester confidentielle, sera moins sévère que pour des adultes, et son encadrement doit faire l'objet d'une enquête.
Une situation compliquée qui a fait ressurgir le spectre d'une guerre froide - des contrôles antidopage. À l'annonce du maintien de la participation de Kamila Valieva, le Comité olympique américain s'est dit «déçu». Le Kremlin, depuis le scandale des Jeux de Sotchi en 2014 et leur tricherie étatique, marche sur des oeufs et ne cesse de s'attirer les foudres de la sphère sportive. Le contrôle positif de Valieva n'arrange en rien la situation du Comité olympique russe.
Alors quid du cannabis dans le cas Richardson? «Ce sont deux produits différents. Le cannabis est plutôt un analgésique, qui vous fait ignorer les signaux douloureux du corps et un euphorisant libérateur d'énergie mentale», analyse le professeur Thierry Buclin. En somme, on ne peut pas comparer les deux produits, ni même les cas des deux jeunes femmes. Il n'est pas donc recevable d'évoquer le racisme dans ce cas précis, les tenants et les aboutissants sont trop éloignés.
Mais tout ce pataquès révèle également une chose fondamentale: ces produits ne sont pas vraiment des substances efficaces pour augmenter la performance. L'AMA examine en ce moment le cas de la trimétazidine, après que l'Institut allemand de biochimie de Cologne ait affirmé qu'il n'améliorerait pas les performances sportives mais pourrait encourager la prise de risque dans certains sports.
Pascal Klintz, expert en toxicologie réputé, s'était déjà penché sur le sujet, après l'éviction du lutteur français Zelimkhan Khadjiev. C'est également un sujet à l'étude pour le cannabis, comme l'avait indiqué l'AMA.
Pour Thierry Buclin, le problème réside surtout dans ces «dopeurs» qui essaient un peu tout. «C'est une médecine à l'ancienne qui promeut des recettes magiques d'efficacité discutable et pas dénuées de risques.»
Ce «jeu de chat et la souris malsain», comme le nomme le professeur Buclin, entre les athlètes, les docteurs maboules et les instances, fait partie de ce business juteux (et pervers) qu'est le sport.