Cela reste l'un des temps forts des derniers Jeux olympiques d'hiver. Souvenez-vous, nous avions appris le contrôle positif de la prodige russe du patinage artistique, Kamila Valieva, 15 ans. Les faits s'étaient produits en amont, mais l'officialisation avait été faite durant les Jeux, avant que Valieva n'entre en lice en individuel. Elle avait finalement été autorisée à participer au programme court, sous réserve, en raison de son âge. Mais elle s'était effondrée plus tard lors du programme libre, à cause de l'énorme pression qui l'entourait.
Des traces de trimétazidine, un médicament pour le cœur, avaient été retrouvées dans les urines de l'adolescente. Ce modulateur métabolique, d'abord perçu comme un stimulant, serait censé augmenter l'efficacité du flux sanguin. L'entourage de la patineuse expliquait que Valieva avait bu dans le même verre que son grand-père, atteint d'une maladie cardiaque.
Kamila Valieva avait été acquittée par l'agence antidopage de son pays: la Rusada. La semaine dernière, le Tribunal arbitral du sport (TAS) a annulé cette décision. Valieva a été condamnée à la peine maximale, soit quatre ans de suspension. Cette décision constitue un signal clair contre le dopage chez les mineurs. Mais personne n'est vraiment dupe. Une jeune fille de 15 ans ne peut pas être la principale responsable. Des soupçons pèsent sur Eteri Tutberidse, son entraîneur. Mais faute de preuves, il n'a pas été sanctionné.
Hasard ou non, l'Agence mondiale antidopage a publié peu avant le verdict l'«Opération Refuge», un vaste rapport sur le dopage chez les mineurs. Il dénonce le profond traumatisme et l'isolement que subissent les enfants à la suite d'un contrôle positif.
L'étude, qui s'intéresse à 1'416 cas depuis 2012, met en lumière les immenses défis auxquels sont confrontés les mineurs, leurs familles et les organismes antidopage.
Les stéroïdes anabolisants, le furosémide (un diurétique de l'anse), ainsi que le méthylphénidate (un stimulant utilisé pour traiter le trouble du déficit de l'attention et de l'hyperactivité), sont les substances les plus fréquemment détectées chez les enfants pris pour dopage.
Le rapport indique que les sports les plus touchés sont l'haltérophilie, l'athlétisme, la natation et le cyclisme. Et c'est en Russie, en Inde et en Chine que les tests positifs impliquant des mineurs sont les plus courants. A ce jour, le plus jeune sportif sanctionné était âgé de 12 ans. Et le plus jeune testé, lui, n'avait que huit ans.
Il existe aussi des cas où plusieurs enfants issus d'un même groupe d'entraînement ont été concernés par le dopage. C'est ainsi qu'en 2012, quatre jeunes boxeurs roumains ont été contrôlés positifs au furosémide. Plus récemment, en 2021, des traces de stanozolol, une substance anabolisante, ont été découvertes dans les urines de trois adolescentes chinoises, adeptes de l'athlé.
De 2018 à 2023, l'AMA a mené 58 enquêtes confidentielles sur des cas de dopage impliquant des mineurs. En outre, les signalements anonymes ont considérablement augmenté au cours des trois dernières années. La plupart proviennent de la Russie et de l'Inde.
Cette évolution inquiétante a incité les enquêteurs de l'AMA à examiner de plus près les dossiers des mineurs. Le rapport a été constitué pour sensibiliser les organisations nationales antidopage sur la façon spécifique de traiter les athlètes de moins de 18 ans.
Les informations contenues dans le rapport de l'AMA sont bouleversantes. Les athlètes ne sont pas les seuls à s'exprimer. Il y a aussi les familles, les soutiens. Les conséquences sont clairement identifiées: des traumatismes, l'isolement, la dépression ou encore l'abandon.
Le document contient des déclarations déchirantes. Ainsi, voici ce qu'un jeune a déclaré au sujet du contrecoup psychologique de son contrôle.
Une mère ébranlée exprime plus loin toute la détresse de son enfant.
Etre exclu de sa communauté sportive, à cause d'une suspension, mène souvent à la dépression. «Les six premiers mois après l'annonce de ma suspension, je suis resté au lit à la maison», confie un jeune ayant un temps perdu goût à la vie. Un père ajoute: «Mon enfant a été stigmatisé par d'autres sportifs. Des parents ont répandu des rumeurs selon lesquelles mon fils était dopé depuis des années, et que nous, ses parents, nous étions derrière tout ça». Une situation qui, dans les cas les plus extrêmes, pousse les frères et soeurs de l'athlète concerné à se retirer du monde du sport, car eux aussi sont soupçonnés.
De nombreux témoignages prouvent à quel point les jeunes sportifs sont soumis à la pression dès le plus jeune âge. «Je pleurais tous les jours en me disant que si les autres pouvaient gérer la pression, moi aussi je le pouvais. Pourtant, je n'avais que onze ans à l'époque», précise un autre enfant. Un athlète va même jusqu'à évoquer une sorte d'enfer.
Un autre thème abordé dans le rapport de l'AMA n'est autre que le manque de connaissances, par exemple au sujet des compléments alimentaires. Le dossier met également en avant deux nécessités: augmenter le soutien psychologique et réduire la pression exercée sur les mineurs dans le sport.
Kamila Valieva a, malheureusement, certainement vécu ce qui est dévoilé dans cette étude.
Adaptation en français: Romuald Cachod.