Un croissant avec le café? Il fait signe que non. Ça ne colle pas avec son régime alimentaire. La veille, Patrik Ifanger a préparé ses repas pour la journée en respectant scrupuleusement les consignes. Il compte les calories pour ne pas prendre inutilement quelques grammes de trop.
Il est tôt en ce matin de février. Mais Patrik Ifanger, que tout le monde appelle «Pädi», est bien réveillé lorsqu'il se met à raconter son histoire.
Cet Obwaldien de 52 ans, qui a grandi à Melchtal et réside désormais à Kerns, sait raconter des histoires avec passion et captiver ses interlocuteurs. Il n'a pas peur de se présenter devant un public ni de narrer son parcours. Et ça tombe bien, parce que celui-ci est exceptionnel.
Jeune, Patrik Ifanger est un skieur talentueux, attiré par les montagnes en hiver comme en été. Dès qu'il est en plein air, il est heureux. Il devient électricien et père de deux enfants. Quand il ne fait pas de sport pendant son temps libre, il pratique le yodel. Les jeudis soir sont sacrés: l'Obwaldien les passe dans le cercle du club de yodleurs «Echo vom Melchtal».
Tout bascule un jour de 2015. Un terrible accident bouleverse pour toujours le destin de «Pädi» Ifanger. Alors qu'il monte, en tant que bénévole, une tente pour la fête des yodleurs de Suisse centrale, il tombe lourdement d'une échelle.
Avant ce jour sinistre, il avait déjà eu quelques problèmes de santé, notamment plusieurs interventions au genou gauche et des embolies pulmonaires. Cette fois, il le devine tout de suite, l'ampleur est toute autre. Un rétablissement complet? Il n'y croit pas. Au contraire. La pensée d'une amputation inévitable lui traverse l'esprit.
Les deux ans années suivantes, il se déplace constamment avec des béquilles, mais ressent sans arrêt les douleurs. De quoi troubler son humeur. «Parfois, mes nerfs étaient à vif», se souvient-il. Tout change le 19 avril 2017, lorsqu'il est amputé de la jambe droite. Cette opération, qui dure plusieurs heures, est la seule solution pour mener une vie meilleure, plus ou moins sans douleur.
«Pädi» accepte rapidement l'idée que, désormais, il a besoin d'une prothèse pour marcher. «Je m'y étais préparé mentalement depuis un certain temps», confie-t-il.
Dès lors, une chose qu'il aime prend encore plus d'importance dans sa vie: le sport. Moins de huit mois après l'amputation, l'Obwaldien enfourche son VTT, skie en famille et s'aventure pour la première fois sur le vélodrome de Granges (SO). Ses bonnes aptitudes sportives le confortent dans ses activités. Le ski est son hobby numéro 1 en hiver. Le reste du temps, il se consacre au vélo et surtout au sprint sur piste, qui devient une passion. Dès le printemps 2018, Patrik Ifanger augmente le volume de ses entraînements et participe à des compétitions à l'étranger. Son rêve? Représenter la Suisse aux Jeux paralympiques. Mais voilà, il se brouille avec l'association nationale du sport pour handicapés (PluSport)...
Pour l'Obwaldien, c'est clair: il ne peut plus porter les couleurs de notre pays. Autrement dit, il doit se trouver une nouvelle nation. Pas de quoi le refroidir! «Pädi» envoie son dossier de candidature à cinq pays. Parmi eux, le Ghana, Etat pour lequel le skieur obwaldien Carlos Mäder a pris le départ aux Jeux olympiques de 2022 à Pékin.
C'est décidé: il représentera le Ghana aux Jeux paralympiques de Paris en 2024. Mais il y a encore un obstacle de taille: le passeport. Il lui manque encore la tant désirée signature des plus hautes autorités politiques. Mais Patrik Ifanger garde l'espoir de l'obtenir.
Quoi qu'il en soit, il oriente entièrement son quotidien sportif vers le 29 août. Ce jour-là aura lieu le 1000 mètres en cyclisme sur piste dans la capitale française. Un coach lui prépare un programme d'entraînement et un nutritionniste le conseille sur ce qu'il doit manger et boire. Mais que se passerait-il si le Ghana refusait de signer ce fameux document?
Mais «Pädi» ne peut envisager une réponse négative de ce pays anglophone d'Afrique de l'Ouest. «J'ai bon espoir», assure-t-il. Et on le croit volontiers, connaissant l'état d'esprit du bonhomme.
Ces mots nous donnent l'impression que rien ne peut arrêter le quinquagénaire. Son optimisme est inébranlable, son humeur très bonne la plupart du temps. Sauf lorsqu'il gare sa voiture sur une place de parking réservée aux handicapés et qu'il se fait regarder de travers ou même traiter de «parasite de l'AI». Et pourtant, l'Obwaldien en a tout à fait le droit: il a besoin de suffisamment d'espace pour entrer et sortir avec sa prothèse. Mais comme son handicap n'est pas immédiatement visible, il reçoit régulièrement des commentaires blessants.
«Pädi» s'entraîne 16 heures par semaine, tout en continuant à travailler à 100%. Le sport reste un hobby pour lui, mais il y investit beaucoup d'argent, de temps et sacrifie même ses vacances pour des compétitions ou les entraînements. Il a de la chance que sa femme et ses enfants soient compréhensifs.
Ce yodleur expérimenté n'est pas seulement un sportif très actif, mais aussi un entraîneur de ski. Il s'occupe d'un petit groupe de personnes souffrant d'un handicap mental et poursuit avec elles un objectif à long terme: participer aux Special Olympics 2029, qui auront lieu en Suisse. Patrik Ifanger fait de l'inclusion un véritable combat, d'où son acharnement à faire s'entraîner ses protégés de temps en temps avec des jeunes cracks du ski issus de clubs de sa région.
Et sinon, devinez la couleur de la prothèse qu'a choisie «Pädi» pour faire du sport: oui, rose fluo! «Tout simplement parce que c'est cool», fait-il savoir, avant de conclure: «Certains pensent certainement que je suis fou de faire autant d'efforts pour le sport. Mais je ne le suis pas du tout. Je suis simplement passionné par ce que je fais».
Adaptation en français: Yoann Graber