«J'ai voulu devenir arbitre de rugby, car je trouvais que ceux qui le faisaient n'étaient pas tous bons», lâche Sébastien Cottreau, arbitre franco-suisse et ancien joueur de rugby à Nyon.
Le gérant de la caisse de pension du groupe Richemont dans le canton de Fribourg revient de la Coupe du monde de rugby où il a exercé, non pas le rôle d'arbitre, mais celui de match manager pour les quatre rencontres qui se sont déroulées à Saint-Etienne. Une expérience «inoubliable» pour ce passionné qui a su se faire une place dans un poste ultra exigeant.
Je préfère vous prévenir, nous n'allons pas nous attacher aux règles du rugby, vous avez conscience que ce sport est complexe à approcher?
Totalement! Et je peux vous dire que, quelle que soit la ligue en Suisse, je mets un point d'honneur à faire à chaque fois des discours d'avant-match et à demander aux joueurs s'ils ont des questions sur les règles du jeu.
Toutefois, en Ligue A, on part du principe que les joueurs et les coachs connaissent les règles, il y a donc moins de questions. Mais je peux vous dire qu'en tant qu'arbitre, les joueurs qui connaissent toutes les règles sont vite repérés et je sais que je peux aller leur parler directement.
Nous, les arbitres, faisons beaucoup de pédagogie durant les matchs. C'est aussi l'une des qualités de ce sport, mais bon, je pourrais en parler des heures.
Justement, à la Coupe du monde de rugby, vous n'avez pas tenu le rôle d'arbitre, mais celui de match manager, qu'est-ce que c'est?
Un match manager c'est un responsable de l'organisation sportive des matchs. Je travaillais en binôme avec un commissaire de match nommé par World Rugby. En tant que match manager, je devais coordonner le personnel qui travaillait directement sur la rencontre, avoir un oeil sur la sécurité autour du terrain, contrôler aussi bien les fournisseurs des repas aux équipes que la disponibilité des ballons officiels sur le terrain ou l'état de la pelouse.
Vous êtes donc passé expert en gestion de la pelouse?
On peut dire ça oui! (rires)
Le 12 août dernier, il y a eu un match de préparation entre la France et l'Ecosse et après celui-ci, on s'est rendu compte que la qualité de la pelouse ne serait pas suffisante pour la Coupe du monde. On a donc dû enlever toute la pelouse du stade. Le cahier des charges pour la pelouse est d'une précision folle.
Vous avez des exemples?
Ce sont des trucs tout bêtes. On interdit par exemple aux joueurs d'entrer sur le terrain avec des glacières, car les boissons énergétiques tuent l'herbe de manière immédiate. Tout doit être discuté, les heures d'arrosage doivent être définies.
Geoffroy-Guichard est un stade qui accueille aussi des matchs de football, ce sont les mêmes exigences au niveau du terrain?
Chacun a son propre cahier des charges, mais vous allez rire, j'ai découvert que pour un match de rugby, l'herbe doit être sèche et pour la pratique du football, ils la préfèrent humide. Lorsque j'officiais en tant que commissaire de match dans des compétitions de niveau inférieur, on faisait un simple constat, on disait que le terrain n'était pas bon, c'est tout.
Vu que vous vous occupez de l'organisation en amont, vous n'avez pas grand-chose à faire durant les matchs?
Normalement si tout se passe bien, j'ai peu à faire à partir du coup d'envoi. Je reste dans ce que j'appelle la zone compétition, à la sortie du tunnel près des bancs des joueurs. De là, on vérifie que tout se passe bien. Si un match est un peu tendu et que les joueurs sont un peu excités, je peux dire à un arbitre de remettre les joueurs sur le banc par exemple, c'est aussi une de mes nombreuses tâches.
Sur 80 minutes de match, vous en voyez combien?
Je dirais une quinzaine, car je regarde essentiellement ce qui se passe autour.
Ce n'est pas un peu frustrant de ne pas voir la rencontre?
Non, on est là pour ça. Mais je regarde chaque match en replay par la suite, à titre privé. C'est un événement extraordinaire et pouvoir y participer, c'est juste fantastique.
Voir les meilleurs joueurs du monde de près, c'est impressionnant, même en coulisses?
Oui, c'est un privilège aussi. Mais ce qui m'a le plus impressionné, ce sont les staffs et l'organisation autour des grandes équipes comme l'Australie. Je vous donne un exemple:
Vous avez eu des demandes très particulières?
Oui. Lors des premiers matchs au mois de septembre, nous avions mis en place le protocole chaleur, c'est-à-dire proposer plus d'eau et mettre de la glace à disposition des équipes.
Le responsable du catering me demandait sans cesse si le protocole chaleur était déclenché. Avec l'état de la pelouse, c'était devenu les premiers sujets de discussion.
La Coupe du monde, c'est aussi un grand spectacle télévisuel. Comment conciliez-vous enjeux sécuritaires et belles images?
Il fallait toujours jongler entre les deux. A la fin des matchs, il y avait les enfants de joueurs qui les rejoignaient sur la pelouse. C'est toujours magique de montrer ces rugbymen costauds avec leurs jeunes enfants dans les bras, ce sont de belles images et de belles émotions. Mais après le match Argentine- Samoa, il y avait une vingtaine d'enfants sur le terrain qui couraient partout.
J'imagine que vous avez vécu des situations inattendues...
Oui, des situations cocasses. Je me souviens que je devais toujours courir pour récupérer les dix ballons de match. Ces ballons officiels sont signés par les arbitres et les joueurs après la partie et ils sont utilisés pour les opérations commerciales. Je courais littéralement après les ballons pour éviter que les spectateurs ou les joueurs ne les ramènent avec eux.
Finalement les opérations commerciales nous ont dit de laisser tomber et le joueur a raconté cette anecdote sur les réseaux. Il l'avait récupéré pour son fils, car, à la dernière Coupe du monde, on lui avait volé ses affaires.
Quel est votre plus beau souvenir de la compétition?
C'est une belle histoire qui me touche beaucoup. Il y a plus de vingt ans, je rencontrais sur les bords du Léman un pasteur qui venait des Samoa et qui s'est avéré être, à l'époque, l'ancien capitaine puis entraîneur de l'équipe nationale des Samoa. Il nous a entraînés au rugby club de Nyon puis il est décédé rapidement suite à un cancer.
Bien des années plus tard, je me retrouve à la Coupe du monde de rugby avec l'équipe des Samoa qui joue à Saint-Etienne. En voyant le bus arriver, j'aperçois un visage familier, c'était la fille de mon ami qui était la cheffe de la délégation des Samoa. La Coupe du monde nous a réunis et nous étions très émus de nous retrouver.