Ils sont une vingtaine à se disputer le ballon ovale avec rudesse sur un terrain du parc des sports de la ville de Morges. Le lieu est relativement facile à trouver, «il suffit de suivre l'éclairage qui n'est pas au max», lance taquin Clément Cauquil, entraîneur et joueur de l'équipe de rugby de Morges. Le ton est donné, on fait de l'humour, mais on n'hésite pas à dénoncer les moyens jugés «insuffisants» proposés au rugby morgien.
Comparés aux éclairages dont bénéficient les équipes de foot qui s'entraînent au même moment sur les terrains voisins, ceux des rugbymen sont, avouons-le, un peu moins bien fournis.
Est-ce vraiment le cas? Des terrains morgiens à la Fédération suisse de rugby, nous avons voulu savoir comment se portait le ballon ovale en Suisse.
Que ce soit aux abords du terrain morgien avec Clément Cauquil ou au téléphone avec Aurélie Lemouzy, présidente du Comité Central de la Fédération suisse de rugby, l'accent du Sud-ouest de la France n'est jamais très loin lorsque l'on évoque le ballon ovale, et ce n'est pas Vincent Ducros, président et membre fondateur du rugby club de Morges, lui-même Français, qui dira le contraire.
En effet, en 2011, il crée l'AS Rugby Morges avec un patron de bar de la ville, ancien rugbyman amateur de l'AS Clermont Auvergne et un Morgien «pur souche». Il y avait encore tout à faire dans la région, «le rugby était assez méconnu», ajoute-t-il. Qu'en est-il douze ans après?
Du côté de la Fédération suisse de rugby, on note que les choses sont en train de changer. «Il y a dix ans, au haut niveau en Suisse romande, on avait une sorte de "dépendance" au rugby français, car la plupart des coaches et des joueurs venaient de France», explique Aurélie Lemouzy. Elle précise que c'est de moins en moins le cas aujourd'hui, grâce notamment à une formation d'entraîneur de rugby via le programme Jeunesse et sport, financé par la Confédération.
Elle ajoute qu'en allant au bord des terrains romands, l'accent du Sud-ouest se fait entendre, mais que du côté alémanique, ce sont les Australiens, les Sud-Africains et les Néo-Zélandais qui contribuent au développement du rugby en Suisse.
Avec près de 4900 licenciés sur la saison 2022-2023 et un nombre de clubs passés de 31 à 51, le rugby suisse est «en progression», se réjouit la présidente du Comité Central de la Fédération suisse de rugby. Depuis 2011, le nombre de pratiquants a doublé en Suisse, mais les objectifs étaient nombreux: «Il fallait tout d'abord structurer la pratique du rugby en développant les associations régionales, puis créer des académies pour les jeunes et augmenter sa visibilité auprès des médias et de la population en général».
Ce sport, qui reste amateur dans notre pays, doit non seulement faire naître des vocations, mais aussi améliorer ses résultats au plus haut niveau.
Pour ce faire, la Fédération suisse de rugby a misé sur le développement du rugby à 7. Un jeu plus dynamique avec des phases de course plus importantes et une durée de match plus courte, soit 14 minutes au lieu de 80 pour le rugby à XV. Selon la fédération, le format à 7 attirait aussi plus de pratiquantes dans les régions où le rugby à XV avait du mal à se développer.
Ce format à l'effectif réduit a aussi un avantage indéniable: il a fait son entrée aux Jeux olympiques en 2016 et ce statut lui permet un soutien financier plus important.
Retour sur le terrain de Morges. «Attention les gars, le but, c'est pas d'arriver à fond et de mettre une cravate au mec, je ne veux pas voir de plaquage haut, d'accord?», lance Clément Cauquil. Les encouragements fusent, mais les rappels à l'ordre aussi. L'entraîneur ne le cache pas, il pratique «un sport de contacts», mais ce n'est pas «un sport violent pour autant, pas plus que le hockey».
La rudesse et la violence des impacts empêchent-ils les Suisses de s'y intéresser? Pour la Fédération suisse de rugby, les blessures ne sont pas plus nombreuses ni plus graves que dans d'autres sports et cette mauvaise réputation n'est pas justifiée.
Elle ajoute qu'à l'échelon inférieur, comme le championnat suisse, les protocoles en cas de blessure à la tête vont plus loin que ceux décrétés par World Rugby, l'instance internationale. Aurélie Lemouzy comprend certaines réticences mais conseille de venir assister à un match ou à une initiation. «Aujourd'hui, il est plus difficile de convaincre les parents que les enfants qui, eux, prennent beaucoup de plaisir».