Il était 00h45 du matin lorsque Roger Federer a regagné le vestiaire, un peu fatigué quand même, mais heureux, «très heureux». Car avant de savoir s'il paiera ses efforts, lundi, face au colosse italien Matteo Berrettini, il faut savourer l'instant. Savourer la magie d'une folle nuit à Paris où, à l'heure du couvre-feu, tout est devenu permis, où un vieux farceur de bientôt 40 ans a retrouvé une seconde jeunesse, les sens éveillés, les enfants couchés.
Avec un tennis plein de vigueur et d'audaces, Roger Federer a mis exactement 3 heures et 35 minutes pour battre l'Allemand Dominik Koepfer (ATP 59), un gaucher dont il était l'idole - deux bonnes raisons de le regarder de travers.
Bien sûr, il y a eu beaucoup de fautes, de haut et de bas. Mais l'obstination avec laquelle Federer a collé à sa ligne, ajouté au tempérament non moins offensif d'un Koepfer tenace et puissant, a donné à ce match un rythme endiablé dont peu pensaient le Maître encore capable, ou pas tout de suite.
Après plus d'une année loin de tout, Roger Federer retrouve un monde qu'il peine à reconnaître, et dont il a un peu oublié les codes. Jeudi, ce fut la première pénalité de sa carrière pour perte de temps; le premier retard de l'homme pressé. Samedi soir, ce fut sa première session de nuit à Roland-Garros, dans un stade vide et une ambiance de fin de banquet, sièges bâchés, commentateurs muselés, visages fermés. Fans indignés.
Federer, dos au mur, qui dispute peut être son dernier match à Roland dans l'indifférence la plus totale, au bout de la nuit, sans public. Quelle tristesse pour cette légende... #RolandGarros
— OM_Fada (@OM_Fadaaaaa) June 5, 2021
Il ne faut pas sous-estimer le dépaysement pour une idole qui a soulevé les foules, dont la motivation première reste de marquer les esprits. Mais Roger Federer doit beaucoup aimer le tennis car, dans ce décor sinistre, il a rayonné. Il a sorti le grand jeu, et même exagéré un peu (35 fautes directes). Il a mis du rythme, du désordre. Il a tout tenté, tout fait, il a tout dit («heyyyyy du», «neiiiii», «chum jetzt») et tout donné, avec parfois des phases de décompression, avec aussi des sautes de concentration - 39 ans, 18 mois sans compétition.
🎾 Il est 23h et c'est seulement le deuxième set qui vient d'être bouclé à Roland entre Federer et Koepfer. Les deux hommes ne se lâchent pas et c'est l'Allemand qui a remporté la deuxième manche encore une fois au tie-break. On peut relancer un café.
— RMC Sport (@RMCsport) June 5, 2021
C'est en cela que Roger Federer n'était peut-être pas totalement préparé à une telle prise de risque et que ses audaces sont peu à peu devenues des imprudences, puis des incartades. Peut-être n'avait-il pas les moyens de son impétuosité, pas toujours, pas encore. Exemple au deuxième set où il commet cinq fautes directes dans le tie-break. Exemple au troisième set où il perd son service d'entrée après avoir mené 40-15, en «donnant» trois points. Exemple au quatrième set où il «rend» son break d'avance.
Mais au-delà des impératifs, il y a eu la volonté, l'enthousiasme, une formidable fureur de jouer. Aux balles du samedi soir, même sans tapage ni redingote, même dans des effluves de picrate hydroalcoolique, Federer a voltigé comme un jeune premier (n°6 à l'ATP, n°1 dans les cœurs), avec ses jambes de presque vingt ans (en net regain de vivacité) et un peu de son insouciance d'antan, moins gestionnaire dans ses choix, moins timide dans ses montées, avec peut-être un bon mètre de gagné en fond de court par rapport au Geneva Open.
Ce bon mètre est la preuve qu'il approche du but.