Goran Ivanisevic, vous souvenez-vous de votre première en Suisse?
Cela devait être en 1989 ou 1990, à Gstaad ou Genève. Je ne sais plus à vrai dire.
C'était en 1989 à Gstaad. Vous aviez également joué à Genève cette année-là. Puis vous êtes régulièrement venu à Bâle, où vous avez atteint la finale en 1990.
Ne me le rappelez pas, s'il vous plaît (rires). C'était contre John McEnroe. Je gagnais 2-0 et j'ai servi pour mener 5-4 au troisième set.
Lesquels?
Plus tard, j'ai rencontré ce type à Bâle. Je crois que c'est un héros ici en Suisse, vous savez, Roger Federer. Mon ami Peter Lundgren me disait qu'il entraînait un junior talentueux. C'est ainsi que nous avons échangé.
Vous avez perdu vos deux seules recontres contre Federer, à Londres en 2000 et à Milan en 2001. Vous vous en souvenez?
A contrecœur! (rires) Blague à part, ce fut un honneur et un privilège de jouer contre Roger. A Milan, il m'a battu lors des quarts de finale. Et vous savez ce qu'il s'est passé ensuite? Roger a remporté son premier tournoi. Je dis toujours que je l'ai aidé à gagner. Cela me semble mieux ainsi. C'est à partir de là qu'il a pris d'assaut le tennis mondial.
En tant qu'entraîneur de Novak Djokovic, vous avez empêché Federer de devenir complètement invincible.
Un deuxième gars est d’abord apparu: Rafael Nadal. Tout le monde pensait que le tennis allait se résumer à un duel entre Federer et Nadal. Mais un troisième joueur a débarqué, et il est devenu encore meilleur qu'eux. Vous savez de qui je parle: M. Novak. En fait, ces trois-là se sont entraidés, ils se sont poussés à mieux faire.
Comment avez-vous vécu ces cinq années - de l'été 2019 à mars 2024 - en tant que coach de Djokovic?
Novak est un génie. C'est une personne extraordinaire, il est le meilleur joueur de l'histoire du tennis. Mais ça n'a pas toujours été facile, je vous le garantis. Nous en avons traversé des phases durant cette période. Il y a d'abord eu la pandémie, puis cette disqualification à l'US Open. Il y a aussi cet épisode à l'aéroport de Melbourne, bref, il y en a eu des moments compliqués.
Pourtant, ensemble, vous avez battu tous les records...
Novak l'a fait, et je l'ai un petit peu aidé. C'est une fierté. Ce fut un grand honneur et en même temps une grande responsabilité d'être l'entraîneur de ce génie. Quand on coach Novak Djokovic, la moindre défaite est un échec. Novak est également exigeant. Il demande des nouveautés au quotidien et veut sans cesse s'améliorer. Cela représente beaucoup de pression. Vous n'avez que quelques secondes pour lui expliquer un élément. Il veut savoir 15 choses à la fois, mais vous n'avez que trois secondes pour le faire. C’est extrêmement exigeant – mais aussi très gratifiant.
Comment avez-vous géré cette pression?
J'ai toujours eu de bonnes tablettes de chocolat (rires). Non, sérieusement: il y a tous les jours de la pression dans ce métier. En fait, on s'habitue à ces circonstances. Le fait que nous soyons tous les deux originaires des Balkans et que nous parlions la même langue m’a aidé. Et nous nous ressemblons beaucoup.
Et maintenant, vous avez besoin d'une pause?
Un break d'au moins vingt ans (rires). Mais je serai alors trop vieux! Je veux y aller doucement jusqu'à l'automne. Cet été, j'aimerais soutenir la Croatie au Championnat d'Europe de foot en Allemagne, en compagnie de mon fils.
Nous vous reverrons donc en tant que coach?
J'adorerais. J'y suis en tout cas ouvert, je laisse les choses venir à moi.
Comment expliquez-vous cette séparation avec Novak Djokovic?
Je savais que ce moment viendrait. Les relations prennent parfois fin, mais nous nous sommes séparés en amis, et nous le resterons toujours. Il n’y a eu aucune dispute, aucun incident. Novak en avait juste marre de moi. Et inversement.
Djokovic n'a plus remporté de tournoi depuis six mois. Et il n'a pas participé à une finale en 2024. Quelles sont ses chances à Roland-Garros, où il débarquera en tant que tenant du titre?
Tout le monde panique, d'autant qu'il a perdu à Rome au troisième tour, de manière assez sèche. Mais vous savez quoi? Ce n'est pas important. Les tournois du Grand Chelem sont une autre histoire.
Il n'était pas bon sur terre battue l'an passé – et il a quand même gagné à Paris. S'il est prêt mentalement, il remportera Roland-Garros. Et moi, je pense qu'il sera motivé. Ce qui voudrait dire que Djokovic gagnera le tournoi.
Il y avait aussi des tensions entre vous, et Djokovic jurait régulièrement en direction du box où vous étiez. Comment avez-vous géré cela?
Cela n’a jamais été un problème pour moi. J'étais également un joueur émotif. Parfois, je ne comprenais pas ce qu'il disait. Parfois, il voulait en savoir plus sur un impact. Je lui racontais quelque chose sur les nuages au-dessus du court. Puis il se fâchait contre moi, mais au moins, c'était contre moi. Cinq minutes plus tard, il était à nouveau détendu. Parfois, au tennis, il faut un petit choc pour se vider la tête.
Comment expliquez-vous le manque de forme de Novak Djokovic?
Lorsqu'on gagne tout, ce n'est pas simple de rester motivé. Les tournois du Grand Chelem sont pour lui ce qui compte le plus. Il lui reste encore deux semaines pour se concentrer. Novak ne panique pas. Il trouvera un moyen, comme il le fait toujours. Rien ne pourra alors l’arrêter. J'espère qu'il le fera.
Durant votre collaboration, Novak Djokovic a surtout amélioré son service. Sur quoi avez-vous travaillé spécifiquement?
Son service était déjà très bon. Il était simplement le coup le plus sous-estimé tant le reste de son jeu est excellent. Nous avons beaucoup expérimenté le lancer de balle, et il frappe désormais plus fort sur son second service. Mais nous avons également travaillé la volée. Novak m'a choisi pour une raison précise, et ce n'était pas pour faire la tambouille (rires).
Revenons à vous. Vous avez remporté Wimbledon en 2001, votre seul tournoi du Grand Chelem, alors que vous étiez 125e joueur mondial. Quels souvenirs en gardez-vous?
Je me souviens de plein de choses incroyables. A ce jour, je ne comprends toujours pas comment j'ai pu remporter ce tournoi. La semaine précédente, je jouais terriblement mal. Je n'aurais pas gagné un seul set. Mais quelqu'un a dû penser là-haut que je le méritais.
Vous avez ensuite été accueilli par 200'000 personnes en Croatie. L'idée était d'arracher vos vêtements et de vous jeter à la mer...
C'était mon intention, oui. Mais lorsque j'ai vu tout ce monde, j'ai changé d'avis, je me suis rhabillé. Je ne pouvais pas croire ce que je voyais.
Vous aviez déjà perdu trois finales à Wimbledon (en 1992 contre Agassi, et en 1994 et 1998 contre Pete Sampras).
J'ai aimé jouer contre tout le monde, sauf Pete Sampras. Ne vous méprenez pas, je le respecte, il est incroyable. J'ai tout simplement eu de mauvaises attitudes lorsque je le rencontrais. Je pensais toujours que je devais mieux jouer que face aux autres. Cela a souvent été serré, mais généralement, je perdais.
Adaptation en français: Romuald Cachod.