Dans ses couleurs politiques, la Suisse reste passablement «verte». Mais plutôt «vert foncé» (avec un petit soleil taquin) que «vert clair» ou «jaune-vert». Comprenez: lors des élections fédérales de 2023, l'Union démocratique du Centre (UDC) s'est passablement renforcée comme premier parti du pays alors que les deux partis écologistes, les Verts et les Verts'libéraux, décrochent.
Le reflux vert, c'est aussi le recul des espoirs d'un Parlement pas forcément plus à gauche, mais plus progressiste. Car si on y regarde bien, les Verts ont reculé avec les deux partis de droite libérale: le PLR et les Verts'libéraux. Autrement dit: les politiciens de droite les moins conservateurs. Souvenez-vous, les Vert's libéraux, ce sont eux derrière le mariage pour tous. Ces politiciens qui parlent peut-être de tech et de finance durable, qui aiment porter le costard certes, mais avec des baskets. Ceux-ci se sont pris une claque, notamment en Suisse romande: Michel Matter (GE) et François Pointet (VD) sont éjectés.
Les Verts tirent la grimace, notamment dans les cantons plutôt urbains de Zurich ou de Genève, et dans le canton de Vaud sur son arc lémanique. Le parti, qui s'est profilé tant sur des positions écologiques que sociales, voire fortement sociétales, recule. Le «wokisme» est peut-être un gros mot caricatural qui fait ricaner à gauche et jaser à droite dans les dîners de famille, mais force est de constater que Les Verts est le parti auquel on a souvent apposé ce tampon.
Et face à cela, c'est l'aspect populaire — populiste? — qui remonte. On trouve notamment le MCG, ce parti genevois, un peu ovni, qui crée la surprise avec deux nouveaux sièges. Mais aussi l'éviction pure et simple des deux parlementaires (romands) issus de la gauche radicale: le popiste des Hauts du canton de Neuchâtel, Denis de la Reussille, et le siège d'Ensemble à gauche à Genève — l'universitaire Stéphanie Prezioso ne se représentait pas, mais n'a pas été remplacée.
A Berne, le groupe parlementaire des Verts en a donc pris un coup: il perd de nombreux parlementaires écologistes, mais aussi les deux élus de gauche radicale qui l'accompagnaient — car oui, ceux-ci n'étaient pas avec le PS. C'est un coup d'arrêt sec et sonnant pour la gauche de la gauche sous la Coupole fédérale, tout comme une perte de pouvoir au sein des commissions.
Face à ces pertes, de nouveaux parlementaires UDC se profilent. À l’image du Neuchâtelois Didier Calame, agriculteur, qui se fait happer par les caméras de la RTS au milieu de la rue de la capitale cantonale. Le visage tanné par le soleil, habits simples et usés, le solide gaillard sort un bref:
Du côté du Parti socialiste, les ténors et les nouveaux venus privilégiés par le peuple ont fait campagne sur le «social» et non le «sociétal»: le fric. Le pouvoir d’achat. Les fins de moins. La thune qui manque au fond du compte en banque. C'était la stratégie voulue par Cédric Wermuth, le coprésident du parti, qui a su tenir ses troupes en ce sens depuis plusieurs mois.
Dans le canton de Vaud, c'est le syndicaliste Pierre-Yves Maillard qui a fait péter les compteurs et a été élu au premier tour. A Neuchâtel, c'est Baptiste Hurni qui a créé la surprise en sortant le PLR Philippe Bauer. Mais le jeune avocat, président romand de l'Association suisse des patients, «le conseiller national le plus à gauche du pays», dit-on, s'est surtout fait entendre, ces dernières semaines, après les annonces de hausse des primes, dans un canton où l'on estime que l'Etat providence n'est pas juste un mythe dont on peut rigoler crânement au café du commerce.
On serait tenté de dire que le Parlement «se droitise» ou prend «un virage à droite». Il est pourtant moins ancré à droite que celui de 2015-2019, lorsque l'UDC avait alors fait son «score historique» de plus de 29% et que le PLR était plus puissant. En fait, la Suisse se recentre et revient à un genre d'entre-deux. Un peu de bon sens terrien, un peu d'intelligenstia urbaine et une flopée de politiciens prêts au compromis entre deux — des ponts, diront les uns, des mollassons, diront les autres. Ah, et inutile de dire que les prétentions des Verts au Conseil fédéral sont balayées.
La Suisse a donc de nouveau voté pour du rural, du populaire, du mec qui revient d'un stand de tir. La fenêtre des revendications progressistes et urbaines à Berne s'est-elle refermée? Certainement pas. Mais il est certain que le Parlement de 2023-2027 sera plus terrien que la précédente législature.