Le Conseil fédéral a pris une décision vendredi après-midi. En réaction, la droite, les établissements publics, la culture et les cantons, eux, ont pris la mouche. L’objectif, vendredi, était visiblement de prendre quelque chose. Nous ici, on a pris acte. Les Suisses, au mieux, leur mal en patience. Un nouveau mois sans terrasse, sans théâtre et sans plein d’autres trucs, annoncé par un Alain Berset seul contre tous au moment de la traditionnelle douche froide sanitaire en streaming fédéral. Notre ministre de la Santé abandonné au pied d’une 3e vague considérée comme menaçante. Mais de quelle vague parle-t-on exactement?
Celle que les citoyens connaissent trop bien. La star: le nombre de cas. La vague qu’on a scrutée à l’aide d’un compteur d’une précision effrayante et qui fut placardée en une des médias pendant d’interminables mois en 2020. Celle des soins intensifs, aussi. Plus sensible. On l’a redoutée quand le risque d’un débordement hospitalier faisait frémir nos élus. Une vague qui s’assoupit d’ailleurs en ce moment sur le rivage vaccinal et grâce à un dépistage en open-bar. Parce que c’est un fait: les hospitalisations baissent. La vague des décès occupe également notre attention, mais suscite de plus en plus d'interrogations quant à la manière de les comptabiliser. Depuis le début de la pandémie, la population ne sait plus vraiment comment elle meurt. En France par exemple, on lisait il y a quelques jours que sur «68'000 personnes mortes du Covid-19, seulement 42'000 seraient réellement imputables à la pandémie de coronavirus».
Aujourd’hui, c’est la vague des variants qui empêche Alain Berset de dormir. Plus dangereux, résistants aux vaccins pour certains et parfois indétectables. Avec cette nouvelle vague, la menace d’un réveil brutal de toutes les autres citées plus haut. Soit. Mais il y a fort à parier que d’autres vagues, plus sournoises, prendront toute la couverture les mois à venir. On fait la liste?
Ce samedi dans le canton de Bâle (mais aussi ailleurs dans le monde), plusieurs milliers de manifestants se sont serrés les coudes, armés plus volontiers de pancartes que de masques, pour grogner contre les mesures Covid. Une population sans peur, mais gorgée de reproches. Le Conseil fédéral aurait par exemple pris leur «pays en otage». Plusieurs milliers, c'est beaucoup quand on ne peut se réunir qu’à dix à la casa.
Cette vague va sans doute encore grandir dans les semaines à venir, et muscler une lutte contre ce que les indignés aux profils bigarrés appellent sobrement la «dictature sanitaire». On n'en est pas encore à de la violence froide, libérée avec fracas dans les rues de notre pays, mais des groupes se créent entre les nervures de la crise et la colère gronde.
20 novembre 2020, communiqué de la Confédération: «Une majorité de la population suisse semble avoir bien fait face à la crise jusqu’ici». Une autocongratulation qui a un goût amer aujourd'hui sur la langue de cette même population. Les Suisses n’ont pas que le moral dans les chaussettes, ils ont leur santé mentale dans les statistiques. Et de la déprime à la dépression, la frontière s'amenuise. Les professionnels sont très inquiets, et en priorité pour les moins âgés d’entre nous: les étudiants, les apprentis, les enfants. «Si, pour les adultes, le Covid-19 a été une crise sanitaire, pour les jeunes, c’est une crise de santé mentale», alertait en février dernier Susan Duffy, professeure de pédiatrie et de médecine d’urgence à l’université Brown (USA). Et les témoignages des principaux intéressés s’enchaînent dans les médias👇
"Certains ont abandonné les études. J'ai des amis en dépression. ça me choque un peu que le Conseil fédéral ignore la détresse de la jeunesse". Alexandre Legrain, 21 ans, étudiant. @A_Legrain_ (1/3) pic.twitter.com/jO2fRQk42h
— Le 19h30 de la RTS (@19h30RTS) March 18, 2021
Sans compter que «la pandémie vient surtout arrêter le mouvement de développement, d'autonomisation des jeunes».
Même le très mécanique Google Trends vient nous le prouver avec son Top 50 des mots-clés de recherche: «anxiété», «crise de panique», «traitement pour les crises de panique». Une vague qui pèse décidément de tout son poids, mais qui hurle encore dans les marges.
Et avec elle, celle d’une crise économique colossale qui n’a pas encore dévoilé tout son potentiel destructeur. GastroSuisse annonce 43% de clés sous la porte définitives en sortie de crise. En un an, les Suisses sont passés d’une fraîche et douillette épargne de 3’000.- durant le premier semi-confinement, à devoir piocher dans leur tirelire d’urgence en 2021. 41% de nouveaux chômeurs en une seule petite année en Suisse. Des licenciements collectifs en cadence industrielle partout sur le planète. Et des indépendants qui changent de voie, résignés (pour les plus chanceux).
Vendredi, le Conseil fédéral a donc pris le taureau par les cornes pour nous annoncer le maintien des mesures visant à prévenir cette menaçante troisième vague d’infections. Nous voilà à danser en rythme avec l'hermétisme européen, si l’on pense par exemple à la France qui reconfine plusieurs régions ou l'Allemagne qui y songe sérieusement.
Quoi qu’il en soit, pour habiller ses décisions semaine après semaine, le Conseil fédéral surfe sur une seule vague qu’il a lui-même choisie et sans jamais en changer: la santé physique à tout prix et à la plus grande échelle possible. Une vague prioritaire et indétrônable, malgré les quelques syllabes prononcées ici et là, dans une sorte d’exercice d’empathie fédérale pour les faillites. Qu’elles soient psychologiques, idéologiques ou financières. Et c’est évidemment, éminemment, politique.
Chacun sa vague, chacun son destin, dirons-nous. Le hic, c’est que la population suisse n’a plus son destin en main depuis une année. Alors, oui, l’objectif vendredi était visiblement de prendre quelque chose. Et Alain Berset a pris des mesures. Mais peut-être serait-il temps, aussi, de prendre (singulièrement) la mesure... de ces mesures.