La cohésion nationale s'effrite-t-elle d'année en année, de dossier en dossier, de crise en crise? Seuls 50% des Suisses se disent satisfaits ou insatisfaits du travail du Conseil fédéral, selon un sondage Tamedia publié ce 28 août et effectué à la moitié du mois. C'est 15 points de moins qu'à la fin 2021 (65%). La sévérité de l'opinion publique qui se dégage de cette enquête se retrouve aussi au niveau des personnes. A titre d'exemple, Alain Berset, qui reste le mieux coté, perd des plumes (4.1 sur 6, contre 4.33 en 2021).
Comment expliquer cette baisse de popularité? On peut lister certains faits récents. Dans sa chronique publiée par le journal Le Temps, Yves Petignat pointe les rivalités internes des sept sages: «Conditions de sélection des avions de combat F-35, définition de la neutralité, sanctions contre la Russie, crise de l’énergie, enlisement des négociations européennes, retard dans la commande de vaccins: chaque dossier est une occasion supplémentaire de se démarquer des décisions du collège et d’afficher publiquement sa différence.» Bref:
Ces «rivalités et [...] conflits ouverts, ponctués de fuites, d’indiscrétions ciblées et de coups sous la table» expliqueraient que 64% des personnes sondées par Tamedia estiment que les membres de l'exécutif fédéral ne gouvernent pas bien ensemble. Le chroniqueur place alors son espoir dans une «profonde adaptation du système», un «contrat de gouvernement». Un tel contrat, dit «Programme de législature» et consistant en des lignes directrices fédérales, existe déjà, rappelle le politologue René Knüsel, contacté par watson:
Au-delà de ces aspects formels, il y a sans doute quelque chose à chercher dans l'attitude du gouvernement fédéral pour expliquer qu'une partie sensible des Suisses ne le suive pas. C'est du moins l'avis de René Knüsel. «Le Conseil fédéral donne l’impression d’une certaine cacophonie. Pour regagner la confiance de la population, il faudra sans doute qu’il y ait une conduite autour d'une personnalité, Alain Berset l’a fait pour le Covid. Là, on ne voit pas très bien qui porte le projet gouvernemental.»
Passée l'attitude, c'est sur le fond du travail gouvernemental que s'oriente le commentaire de l'expert. «Actuellement, notre gouvernement est davantage dans la gestion que dans la capacité à anticiper les problèmes.» La communication autour du dossier énergétique, sous forme de conférence de presse minimaliste improvisée le 17 août après une longue pause estivale, serait révélatrice de cet état de fait. Et que dire quand on regarde nos voisins:
René Knüsel de prendre également l'exemple de la guerre en Ukraine: «Si ce conflit devait s’étendre à l’OTAN, comment réagirait-on ? Il faut des scénarios. Pas sûr que nos dirigeants aient préparé ce genre de choses. Il faudra qu’ils nous donnent l’impression qu’ils maîtrisent la situation.»
Cela étant, aux yeux de l'historien valaisan Philippe Bender, il faut relativiser ces sondages. «Premièrement, en vertu du système suisse, c'est toujours le collège qui prend des décisions, pas ses membres», lance l'observateur à la fibre radicale au bout du fil. «Mesurer la cote des conseillers fédéraux comme s'il s'agissait de stars n'est pas très éclairant.» Deuxièmement, il est normal selon lui que lors de moments délicats du destin d'un pays, l'incompréhension, voire la défiance, règne parmi le peuple, au moins pour un temps:
Le politologue René Knüsel abonde: il n'y a pas lieu d'envisager une cassure entre le Conseil fédéral et la population à partir de ce sondage. Ce risque existe, mais il est faible, et les institutions démocratiques pourront régler une bonne partie du problème. «L'épisode du Covid a montré avant tout que la population suisse s'unissait dans sa majorité derrière le projet gouvernemental», argue le professeur honoraire de l'Université de Lausanne. Reste que la popularité du Conseil fédéral est plus faible dans le contexte actuel de la peur d'un black-out électrique qu'en plein Covid.
Un sondage, réalisé également par Tamedia, était publié dernièrement: lors des prochaines élections fédérales (qui auront lieu en automne 2023), le PLR pourrait devenir le deuxième parti de Suisse, reléguant le PS en troisième position. Une projection qui n'est pas sans rapport avec le renouvellement du Conseil fédéral par le parlement, à venir en décembre de la même année.
Le grand enjeu de cette élection réside en effet dans l'arrivée – ou non – des Verts ou des Vert'libéraux au sein du nouveau collège. L'entrée d'un écologiste signerait la perte d'un siège pour le PLR ou le PS, Le Centre n'ayant qu'un siège et l'UDC étant le parti le plus représenté à l'Assemblée fédérale. Une progression du PLR telle qu'annoncée dans le sondage Tamedia ferait du siège PS le siège éjectable. Ce qui est en fait logique selon le libéral-radical Philippe Bender:
Mais encore faut-il que l'accession des Verts à l'exécutif fédéral ait lieu. «C'est seulement en 1959 qu'a été brisée la majorité absolue du Parti radical, qu'il détenait depuis 1848», commente le fin connaisseur des institutions suisses. «Il a ensuite fallu attendre que l’UDC frôle les 30% pour qu’il occupe deux sièges au Conseil fédéral. Quant aux socialistes, ils étaient très puissants dans les villes et sur le Plateau suisse lors de leur entrée au gouvernement.» Et la vague verte, alors? «Les vagues dans la mer ne sont pas éternelles. Il faut relire Victor Hugo: les vagues retournent s’échouer sur le rivage.»