Quels débuts mémorables dans les négociations avec l'Union européenne! Alors que la présidente de la Confédération Viola Amherd était tout sourire à Bruxelles aux côtés de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, les syndicats suisses lançaient une bombe puante.
Dans une lettre adressée au Conseil fédéral, ces derniers font savoir qu'ils ne souhaitent plus participer aux «séances inutiles» de la table ronde avec les employeurs. Ils estiment que le gouvernement a ignoré leurs revendications sur la protection des salaires et ne se sentent donc plus obligés de collaborer de manière constructive pour le moment.
Or sans les syndicats, les négociations à Bruxelles n'ont plus vraiment de sens. D'autant plus qu'il est désormais clair que le 3 avril, l'UDC déposera officiellement son initiative contre «une Suisse à dix millions d'habitants» visant à limiter le nombre de résidents sur le sol helvétique. Cette initiative menace indirectement la libre circulation des personnes, ciblée pour la troisième fois après l'initiative sur l'immigration de masse et celle pour une immigration modérée.
En effet, c'est le malaise dû à la persistance d'une forte immigration qui assombrit le ciel des nouvelles négociations entamées avec l'Union européenne et c'est ce sujet qui sera décisif dans les négociations. La reprise du droit européen et le rôle de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) sont, à eux seuls, de gros morceaux que la Suisse devra avaler. La libre circulation et les effets négatifs qui y sont liés devraient d'autant plus occuper le devant de la scène que le futur paquet d'accords devra un jour faire l'objet d'une votation populaire.
Le Conseil fédéral a reconnu la problématique et intégré la demande d'une «clause de sauvegarde» dans le mandat de négociation. L'objectif est de trouver un mécanisme permettant d'appliquer une sorte de «frein d'urgence» en cas d'immigration excessive en Suisse.
Les chances de succès de cette mesure sont plutôt minces: actuellement, l'UE refuse catégoriquement de remettre en cause l'une de ses quatre libertés fondamentales. Les Britanniques l'ont déjà constaté après Brexit – et cela ne changera pas même si l'immigration massive devient un sujet de plus en plus irritant, y compris au sein de l'Union. Il suffit de voir ce qui se passe aux Pays-Bas, où le candidat d'extrême droite Geert Wilders a remporté les élections en promettant de réduire l'immigration.
Lors des négociations avec la Suisse, la Commission européenne invoquera probablement le faible taux de chômage et les salaires élevés en Suisse, qui n'ont pas d'équivalent en Europe. Du point de vue de Bruxelles, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes malgré un taux d'immigration record – l'économie suisse fonctionne comme sur des roulettes. Soit, mais les logements qui se font rares, les trains et les autoroutes toujours plus pris d'assaut? Ce sont vos problèmes, à vous des les résoudre, rétorque l'UE.
Mais l'UE devra bien finir par concéder quelque chose à la Suisse, si elle veut vraiment aboutir à un nouvel accord global. On pourrait penser à des clauses de sauvegarde limitées à certaines zones, comme le Tessin, la région lémanique, l'agglomération zurichoise ou le nord-ouest de la Suisse? Ces régions réfléchiraient probablement à deux fois avant de tirer le frein d'urgence, car cela provoquerait des désavantages concurrentiels.
Mais même si l'opération «clause de sauvegarde» devait réussir, est-on bien sûr que les partis bourgeois auront encore assez de niaque pour défendre encore une fois des accords bilatéraux assortis de la la fameuse libre circulation des personnes?
Les politiciens du Centre et du PLR trouveront-ils le courage de s'opposer à l'UDC lorsque celle-ci mettra en garde – ce qu'elle fait déjà – contre «l'abolition de la démocratie directe»? Parviendront-ils à prendre le parti, avec la gauche modérée, de l'ouverture économique et sociale qui a contribué au succès du modèle suisse?
Dans un monde de plus en plus incertain, sonner la retraite ne serait pas un bon signe.
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci