La votation sur la 13ᵉ rente AVS constitue un précédent: le 3 mars, l’électorat UDC a voté avec la gauche. Les responsables du parti national-conservateur en étaient blêmes. La base a torpillé les mots d’ordre émis un mois plus tôt par l’assemblée des délégués, qui recommandait massivement le rejet de la 13ᵉ rente et approuvait l’initiative des Jeunes PLR pour un relèvement de l'âge de la retraite à 66 ans, balayée par le peuple à près de 75%. Etait-il possible d’être plus déconnecté?
Devant cette faillite, les élus de la ruralité ont-ils osé dire leur fait aux «milliardaires» du parti qui discourent à leur aise du peuple dans les salons des palaces? Entrepreneur forestier dans le Nord vaudois, le conseiller national UDC Yvan Pahud, l’affirme:
Des «petites gens» qui, le 3 mars, pris d'un élan «populiste», regrette Yvan Pahud, ont d’abord pensé à leur pomme. Et qui pourraient y repenser dans deux mois, en acceptant une nouvelle initiative de gauche, celle du PS exigeant un plafonnement des primes d’assurance maladie à 10% du revenu. Les cadres de l’UDC prient pour que leurs électeurs, retrouvant d’ici là leurs esprits, se désolidarisent de la jacquerie dépensière socialiste. On verra.
Ce qui est certain, c’est qu’un électorat social, de gauche et de droite, est né le 3 mars. Un monstre? Ce n’est pas la première fois que gauche et droite votent ensemble. En 2014, l’initiative de l’UDC contre une immigration de masse n’aurait probablement pas été adoptée sans l’apport de voix socialistes. Après le vote sur la 13ᵉ rente, il ne serait pas surprenant que la base PS renvoie l’ascenseur lorsqu’on se prononcera sur l’initiative UDC «Non à une Suisse à 10 millions d’habitants».
Là encore, le portemonnaie: plus la Suisse comptera d’habitants, plus l’offre de logements se resserrera et plus les loyers prendront l’ascenseur. Yvan Pahud s’aperçoit du problème dans sa «circonscription» de Sainte-Croix.
L’élu UDC invoque la place occupée par les requérants d’asile dans la localité sainte-crix, tout en soulignant que «leur gestion se passe très bien».
La chose inédite survenue le 3 mars est le glissement spectaculaire à gauche de l’électorat UDC, 55% à l'échelle de la Suisse, probablement 65% en Suisse romande. De quoi donner des idées à la gauche? Sous couvert d’anonymat, ce membre du Parti socialiste ne dit pas «non» à des ententes ponctuelles avec l’UDC.
Notre interlocuteur socialiste imagine qu’une part de l’électorat de gauche, PS comme Verts, approuvera l’initiative contre une Suisse à 10 millions d’habitants. «Une partie des classes populaires y trouvera son intérêt, comme des profs de gymnase à la retraite estimant que la Suisse et sa nature doivent être préservée», brosse-t-il à grands traits.
Il trace une ligne rouge:
Pure posture morale? «Non, sur la question du logement, par exemple, étant entendu que nous recommanderons de voter non à l’initiative UDC, nous pensons que l’offre, qui n’est pas extensible à l’infini, régulera les capacités d’installation des étrangers en Suisse. S’il n’y a pas de places disponibles, ils ne pourront pas s’y établir. Ensuite, pour faire baisser les loyers, il faut changer la loi de manière à ce que ce soient les bailleurs qui aient à justifier de leurs montants lorsque ceux-ci sont manifestement trop élevés.»
Côté UDC, on assume des «alliances objectives» avec les socialistes. «Contrairement à ces derniers, qui semblent avoir de la peine à les assumer publiquement», relève le président de l’UDC Vaud, Kevin Grangier. L’essentiel étant de s’entendre, même implicitement, comprend-on. Sur l’Union européenne, Kevin Grangier sait qu’il peut compter sur le renfort «objectif» de la gauche populaire, représentée par l’Union syndicale suisse, dont Pierre-Yves Maillard est le président et grand gagnant de la votation du 3 mars.
Kevin Grangier veut-il «mouiller» Maillard? Il rappelle qu’en 2008, ce dernier avait repris l’idée d’abord émise par l’UDC de l’élection du Conseil fédéral par le peuple. Ejecté peu avant du gouvernement, Christoph Blocher avait salué l’initiative de celui qui siégeait à l’époque au Conseil d’Etat vaudois:
Pierre-Yves Maillard n’a pas donné suite à nos sollicitations à ce propos.
Plutôt que d’alliances objectives, le politologue Pascal Sciarini, professeur de sciences politiques à l’Université de Genève, préfère parler d’«alliances contre nature». Et de préciser:
La question sociale est peut-être le seul domaine où gauche et droite populaires se rejoignent pour les mêmes raisons, nonobstant la préférence nationale, dont il n’est pas dit que tous les électeurs de gauche y soient insensibles. Pascal Sciarini n’imagine toutefois pas un ouvrier syndicaliste manger de ce pain-là.
Parmi les sujets pouvant réunir PS et UDC, l’Europe est d’une «importance capitale pour l’avenir de la Suisse», affirme le politologue genevois.
Maillard bientôt dépassé par sa base? C'est peut-être le principal enseignement de la votation du 3 mars sur la 13ᵉ rente AVS: un ventre social gauche-droite échappant au contrôle des appareils des partis pourrait à l'avenir accoucher de puissants hybrides.