Le marché du porc en Suisse est marqué par des hauts et des bas, des surplus et des manques. Dernièrement, l'offre excédentaire de porc était si importante que des tonnes de viande ont dû être exportées vers d'autres pays européens. Selon les chiffres de l'organisation sectorielle Proviande, plus de 31 000 porcs ont été exportés jusqu'à la mi-février, et près de 15 000 ont été congelés. L'exportation a été financée conjointement par les engraisseurs et le commerce: ils ont déboursé 20 centimes par kilogramme de poids mort.
L'association sectorielle Suisseporcs parle d'une «mesure sans précédent pour alléger le marché». Démarche, selon elle, nécessaire. En effet, les abattoirs étant saturés et les ventes en baisse, les étables sont surpeuplées. Il est devenu difficile de respecter les règles de protection des animaux dans de nombreux endroits.
D'une part, la fermeture des frontières pendant la pandémie a entraîné une forte baisse du tourisme d'achat. Par la suite, la demande nationale a augmenté et les agriculteurs ont augmenté les effectifs – ce qui leur a permis de faire de bons chiffres. Mais depuis l'été 2021, les prix du porc ne font que diminuer: en août 2022, le prix par kilogramme de poids mort est tombé à 3 francs, un niveau auquel il est resté depuis lors.
D'autre part, les gens mangent de moins en moins de viande de porc. La consommation par habitant a baissé d'environ dix pour cent au cours des dix dernières années pour atteindre 21 kilos par an.
Depuis l'été passé, une reprise s'est lentement dessinée. Cependant, la situation critique se fait encore ressentir: chez les agriculteurs, les commerçants et les transformateurs. A long terme, cela ne peut pas continuer ainsi, estime Raphael Helfenstein de Suisseporcs:
Suisseporcs s'attend à une réduction de la production totale d'environ 5%. En d'autres termes, le cheptel de truies mères devrait diminuer de 7000 têtes dans toute la Suisse.
Les agriculteurs ont conscience que le commerce de porc va mal. Parmi les quelque 5600 éleveurs de porcs de Suisse, nombreux se posent des questions cruciales:
Trois agriculteurs nous font part de leurs inquiétudes et de ce qui les pousse à s'accrocher, malgré tout, à la production de viande de porc.
«Actuellement, je ne fais plus de bénéfices avec l'élevage de porcs. Au contraire: pour chaque porcelet que je cède, je paie en fin de compte plus cher.» L'agriculteur Urs Stoller est préoccupé par la situation actuelle sur le marché du porc. Cet éleveur de porcs de 53 ans, originaire de Romanshorn (TG), s'inquiète de l'avenir de l'exploitation qu'il a reprise de son père:
Il ajoute pourtant: «Nous, les éleveurs de porcs, sommes des entrepreneurs et devons savoir nous débrouiller même dans les mauvaises phases. Cela fait partie de notre travail.» Pour Stoller, il n'est pas question d'abandonner complètement l'élevage de porcs. Il est trop attaché à ses animaux et à son exploitation:
A cela s'ajoute la situation de la ferme: «Notre exploitation n'est pas adaptée à d'autres branches de production. Je ne peux donc pas simplement me reconvertir dans les grandes cultures, ce qui, d'un point de vue purement géographique, ne fonctionnerait pas non plus», explique-t-il.
L'agriculteur thurgovien ne se plaint toutefois pas: «Il ne sert à rien de chercher des coupables. En fin de compte, nous sommes tous – les producteurs d'aliments pour animaux, les éleveurs, les engraisseurs, les transformateurs et les commerçants – coresponsables de l'excédent actuel.»
Markus Käppeli a lui aussi des inquiétudes quant à l'avenir:
Käppeli exploite une ferme à Hildisrieden, dans le canton de Lucerne, qu'il a reprise de ses parents en 2016. Outre l'économie laitière, l'élevage de porcs est le deuxième grand pilier de l'exploitation de Käppeli.
Le prix qu'il reçoit depuis quelques mois pour ses porcelets est «largement insuffisant». «Le produit de la vente des porcelets me permet tout juste de couvrir les coûts directs», explique ce père de famille de 35 ans. Ces dernières années, Käppeli a beaucoup investi dans l'exploitation – surtout parce que le travail avec les porcs lui plaît:
Käppeli souhaite s'en tenir à la production porcine: «Je suis prêt à contribuer à l'endiguement de l'excédent par des mesures à court terme. J'ai, par exemple, légèrement réduit le cheptel depuis l'automne dernier. Mais abandonner complètement n'est pas une option pour moi.» Il en irait autrement s'il était proche de la retraite ou s'il devait faire de plus gros investissements, dit-il. «Dans ce cas, j'y réfléchirais sans doute.»
«Nous avons déjà traversé certaines crises, mais ce que nous vivons maintenant est assez extraordinaire», déclare Franz Guillebeau. Ce Bernois de 59 ans assure ses revenus grâce à l'élevage de porcs. Lui aussi a repris la ferme de son père, à Lanzenhäusern (BE). Guillebeau espère que la spirale négative prendra bientôt fin et qu'il gagnera à nouveau de l'argent avec l'élevage:
Pour Guillebeau, il est clair que la production doit être adaptée, en premier lieu par une réduction du nombre de places d'engraissement. Ensuite, la demande en porcs de chasse, c'est-à-dire en jeunes porcs, diminuera également. Guillebeau veut lui aussi continuer l'élevage:
Cette misère est notamment «une conséquence de décisions politiques», explique Guillebeau. «La politique voulait que l'agriculture devienne plus efficace. Cela a eu pour conséquence que de nombreuses exploitations se sont spécialisées dans un secteur de production qui génère désormais le revenu principal. Il est donc très difficile de passer à une autre branche d'exploitation.»