Peu de diagnostics font l'objet d'autant de controverses que le trouble du déficit de l'attention, ou TDAH. Pour certains, cela rime avec explication et soulagement, pour d'autres, il s'agit simplement d'un mal à la mode.
Le célèbre cuisinier britannique Jamie Oliver en serait atteint, tout comme la chanteuse pop Taylor Swift ou la joueuse de tennis Serena Williams. On l'aurait même décelé de manière posthume chez Léonard de Vinci.
Le TDAH a longtemps été considéré comme une maladie infantile typique. Il y a encore quelques années, on pensait que ses symptômes; inattention, hyperactivité et impulsivité disparaissaient avec l'âge. Undine Lang, directrice de la clinique pour adultes des établissements psychiatriques universitaires de Bâle, indique:
Or, une absence de traitement chez l'adulte peut avoir des conséquences considérables sur la vie professionnelle et privée. Parmi elles: un accroissement du risque d'accidents de la route. La probabilité de souffrir de troubles psychiques est également nettement plus importante.
Plus le TDAH chez l'adulte a été médiatisé, plus la demande en matière de diagnostic et de traitement a augmenté. La prescription de médicaments aux adultes a ainsi fortement progressé: elle a été multipliée par 2,5 en dix ans en Suisse. Alors qu'en 2015, on délivrait 2,3 doses quotidiennes pour 1000 adultes, ce chiffre est passé à 5,8 en 2023.
Et les différences cantonales s'avèrent frappantes: selon l'atlas suisse des services de santé, Bâle-Ville arrive en tête avec 9,1 doses quotidiennes pour 1000 adultes, soit sept fois plus que le Tessin, qui termine en dernière position avec 1,3 dose. Faut-il ainsi en conclure que le Tessin traite trop peu, ou les autres cantons traitent beaucoup trop?
La réponse est complexe. On estime que 2 à 3% des adultes souffrent de TDAH. Mais le fait qu'ils se fassent soigner dépend de facteurs multiples.
Selon le médecin cantonal tessinois Giorgio Merlani, la faible fréquence de prescription de médicaments contre le TDAH dans le canton a déjà été établie. Il relève l'existence d'un fossé nord-sud qu'on retrouve à l'échelle du continent: les pays d'Europe du Nord affichent tendanciellement des taux de prescription bien plus élevés que ceux du Sud. Il déclare:
Curieusement, Bâle-Ville ne voit pas non plus de raison de s'inquiéter. Pour le département de la Santé:
Zoug, troisième du classement, fait état d'un niveau de prescription comparable à celui de ses voisins, Zurich et l'Argovie. «Rien d'anormal donc, à notre avis».
Ces disparités autour du TDAH n'étonnent pas la psychiatre Undine Lang. Elle explique que la stigmatisation est moins forte en milieu urbain, ce qui facilite l'accès à la psychiatrie:
Dans le même temps, les villes présentent davantage de facteurs de risque: migration, solitude, forte injonction à la performance. Des études épidémiologiques montrent que les maladies psychiques se développent davantage dans des villes comme Genève ou Bâle, et le TDAH ne déroge pas à la règle.
Mais au Tessin, c'est aussi sur le plan culturel que cela semble se jouer. Selon les experts, il y règne une plus grande tolérance envers les comportements typiques du TDAH. Cela se traduit par des taux de prescription plus faibles, bien que, selon le dernier rapport de la Confédération sur la santé mentale, 6,9% de la population tessinoise déclare présenter des symptômes de TDAH. A titre de comparaison, ce chiffre est de 5% en Suisse alémanique.
Le fait que les symptômes conduisent à un diagnostic dépend donc également de la recherche d'aide par les personnes concernées. Undine Lang explique:
Mais cela ne conduit pas toujours à la prise de médicaments. Ceux contre le TDAH comptent certes parmi les plus efficaces en psychiatrie, souligne l'experte. Mais la thérapie comportementale fonctionne, elle aussi,, en particulier dans les cas les moins graves. Selon la médecin, le facteur décisif reste la souffrance, qui dépend fortement des conditions de vie, notamment des exigences professionnelles ou familiales.
Le recours aux médicaments est emblématique de nombreux traitements en Suisse, pour lesquels on observe des écarts marqués entre les régions. C'est précisément ce qu'étudie Stefan Essig, médecin et épidémiologiste à l'institut de recherche lucernois Interface Politikstudien, dans le cadre d'un projet en collaboration avec les Cantons et des professionnels de la santé. L'objectif: déterminer l'origine de ces différences et si elles se justifient sur le plan médical.
Or, ces informations seraient justement indispensables pour évaluer s'il y a sous- ou surtraitement. «Il faut savoir si cela vaut la peine», ajoute le spécialiste. On ne peut parler de soins appropriés que si un traitement présente un réel bénéfice pour la santé et tient compte des préférences des patients.
Jusqu'à présent, explique Stefan Essig, on n'a pris que quelques initiatives isolées pour examiner ces corrélations plus en profondeur. Mais la pression augmente:
(Traduit et adapté par Valentine Zenker)